Rayon frais

Musique

par Johanna Pierre

Tyler, créature à la mode

Tyler, créature à la mode

Jeudi 5 mai 2011, 20h, il fallait manifestement être au Social Club pour la première date française de la meute de Tyler the Creator aka OFWGKTA (ou Odd Future Wolf Gang Kill Them All pour ceux qui ont des problèmes de dyslexie).

Si ces noms ne vous disent rien… ça frôle l’autisme car à moins d'avoir séjourné dans la même grotte-villa que Ben Laden, personne ne vous pardonnera de ne pas connaitre ces prodiges en culottes courtes de hispster qui font trembler l’Amérique puritaine de Sarah Palin. De quoi crier à la mort des papis du rap game sur l'autel du SWAG ? On va vite le savoir. Car si les moutons ont peur du loup, d’autres sont surtout curieux de voir si les sales gosses ont le niveau pour renouveler le genre comme le prétend la blogosphère. Devant l'entrée, une foule compacte lookée en Supreme de la tête aux pieds, semble impatiente de rentrer. Certains ont l'impression de vivre un moment historique, l'avènement du futur du hip-hop ou quelque chose comme ça. On sent bien que c'est l'endroit où il faut être ce soir. La crème de l'électro est réunie dans le public et heureusement qu'Al Qaida n'a pas vu venir le coup, sinon Paris ne s'en serait jamais remis. A l'intérieur, l'atmosphère est moite quand les loupiots montrent le bout de leur casquette, le regard hagard, comme prêts à faire une grosse connerie. La foule collée-serré semble à point pour son premier french kiss avec les enfants terribles. Le show peut commencer…

Ambiance scandale, les vandales bondissent frénétiquement sur les 5 mètres carrés de scène, haranguant le public médusé à coups de cris de guerre "Wolf gang, Wolf gang". Manifestement il se passe quelque chose. Le charismatique Tyler qui porte la marinière controversée de l'équipe de France a tout compris à la provocation et n'a résolument pas besoin de conseillers en image pour conquérir son auditoire. Et c’est peut-être là que le bât blesse, son public est déjà conquis, pour ne pas dire aussi connivent qu’un journaliste politique du Figaro. Les garnements proclamés next big thing en sont à un stade où quoi qu’ils fassent, la masse trouvera ça génial. Au risque d’être lapidé sur la place publique ou accusé de name dropping comme tous les bien-pensants qui se sont rués sur l’épiphénomène dès qu’ils ont découvert Yonkers et la régurgitation de cafard, qu’on se le dise : musicalement, ça pète pas 3 pattes à 1 canard… Comme quoi le grand méchant loup n’est pas si effrayant que ça. Prods faites maison, on tape dans le minimaliste voire le minimum syndical et même si l’atmosphère dark et dense est captivante sur 5 minutes, elle devient vite ennuyeuse au bout d’un bon quart d’heure. Heureusement la voix grave de Tyler venue tout droit de la tombe de Barry White fait le job, et le fait même plutôt bien. Textes acérés, subversion poussée à son paroxysme et image politiquement incorrecte torchée jusque dans ses tweets, on pourrait presque le taxer d’être le fils spirituel d’Eminem lorsqu’il insulte son père absent ou nous abreuve de son flow misogyne et homophobe. Force est de constater que la transgression fait toujours autant d’adeptes en 2011.

1h et une dizaine de bains de foule plus tard soient 2 mètres cube de sueurs évaporés, un bout de plafond en moins et quelques contusions disséminées sur le corps des plus émérites, le live se termine aussi brutalement qu’il a commencé. Le "fucking walking paradox" a déversé toute sa haine et son énergie, nous donnant vaguement l’impression d’avoir violé les limites de la bienséance en partageant ses cauchemars. Parfois drôle, souvent violent et même vulnérable dans ses confessions, il multiplie les contradictions pour mieux nous perdre du côté obscur. Sale gosse, écorché vif ou machine de guerre markétée pour les modeux, le débat reste entier. Et ce n’est apparemment pas son second opus qui nous donnera la clé…

Attendu comme le messie par beaucoup, Goblin, écouté en boucle par les plus fanas depuis 5 jours, sort officiellement aujourd’hui. Expect : 15 titres sombres et compacts aux accents de BO de films d’horreur de seconde zone, frôlant parfois l’indigestion. Le tout tient la route mais hélas rien de neuf au soleil des skateparks californiens.
Le bonhomme un chouille immature, a toujours un sérieux soucis relationnel avec les femmes (cf : She, Transylvania et Tron Cat) même s’il prévient très vite que ce n’est ni un modèle à suivre ni un serial killer. Nous voilà rassurés. Ce qui ne l’empêche pas de beugler après “Kill people! Burn shit ! Fuck school !" sur l’assourdissant Radicals. Déroutants sans être bluffants, les titres s’enchainent ainsi, suivant son flux hargneux ininterrompu. Ok, Yonkers sort légèrement du lot, mais les plus médisants pourraient dire que le clip y est sûrement pour beaucoup. Sous forme de confession faite à son psy/alter-ego à l’instar de Bastard, Goblin laisse finalement un goût étrange. L’impression d’être le spectateur impuissant du cri de détresse d’un gosse pris à son propre jeu, partagé entre la lucidité de devenir une vache à lait de l’industrie musicale et l’envie d’envoyer tout le monde se faire foutre. Comme une mouette engluée dans sa marée noire, on en sort cracra et pas vraiment avancé. L’album se clôt sur Golden avec un Tyler à bout, en camisole de force. Vision prémonitoire ou pas, on peut se demander si le petit ne finira pas en effet aliéné par ses propres contradictions, ou pire, avalé tout cru par ceux qui en ont fait leur nouvel enfant chéri.

Une chose est sûre, The Creator ne laisse personne indifférent, c’est déjà ça. Alors suite au prochain épisode, si le buzz résiste jusque là. En attendant si vous avez échappé à la fournaise du Social Club, il vous reste les Eurockéennes de Belfort en juillet pour vous faire votre idée en live, et bien sûr l’album Goblin a écouter légalement si ce n’est pas déjà fait. Qui sait ? Je fais peut-être juste du mauvais esprit.

© photo par MPY