par @FrancoisChe
Mode2 : « Mon corps a atteint son seuil de tolérance »

Mode2 présente sa nouvelle exposition à la galerie Sergeant Paper. Quelques heures après l'accrochage, nous avons rencontré cette légende plutôt discrète, pour parler de son art et de l'histoire du graffiti.
Quel est le propos de ton exposition ?
Hétéroclite est un assemblage de dessins réalisés sur des formats de papiers différents, avec trois types d'outils : fusain, pastel et pastel gras. La galerie m'avait proposé de concevoir une exposition d'œuvres spécifiquement sur support papier, pour m'adapter aux budgets plutôt modérés de leur clientèle.
Que va-t-on y voir ?
J'aborde plein de sujets : le voyeurisme, l'érotisme, la politique, le hip hop... Je donne quelques clés pour appréhender mes explorations dans le domaine du rythme et de la gestuelle, dans l'image comme dans l'exécution. La notion de rythme est omniprésente dans mon travail. On la retrouve dans le lettrage, les jeux de couleurs, les remplissages et les fonds.
Est-il vrai que tu ne peux plus toucher une bombe ?
Je peins rarement, à cause des effets indésirables de la peinture sur ma santé. Ce n'est pas dramatique, mais mon corps a atteint son seuil de tolérance. Il me le fait savoir quand je peins, même protégé des vapeurs. Les marques de bombes ne font aucun effort pour rendre leurs produits moins toxiques et moins nocifs. Alors que nous continuons à en faire la promotion, tout en nous empoisonnant lentement.
Le graffiti dans la façon où tu le pratiquais à tes débuts ne te manque-t-il pas ?
On ne peut pas rester dans le passé, et peindre comme à l'époque ne rimerait pas à grand chose aujourd'hui. Le milieu s'est tellement développé, des médias en tout genre jusqu'aux magasins de bombes. Aujourd'hui, il est facile d'apprendre la technique. J'essaye de m'adapter, en gardant à l'esprit ceux qui étaient là avant moi, tout en étant investi d'une responsabilité à l'égard de ceux qui sont arrivés après.
Tu ne verses donc pas dans nostalgie ?
Je vis avec mon temps : un pied dans le passé, l'autre dans le futur. Un grand écart existentiel en quelque sorte. Histoire de peser le pour et le contre, en prenant des décisions qui ont des conséquences durables.
Aujourd'hui, le street art a fait son entrée au musée. C'est en contradiction avec les origines du graffiti, un art de rue. Quel regard portes-tu sur cette évolution ?
Déjà, j'ai du mal avec le terme générique street art, qui met tout le monde dans le même panier. Si certains, dans un monde post-Banksy, Obey, Invader ou Zeus, ont choisi d'éviter la difficulté de dessiner des belles lettres, c'est leur problème. De prétendus experts, extérieurs au graffiti, veulent nous expliquer que le street art est un cousin plus intelligent et plus raffiné que le writing, qui serait une forme primitive de vandalisme. Une telle ignorance tend à effacer l'importance fondamentale des débuts de cette forme d'expression. Lorsque des jeunes se sont mis à écrire leurs noms, avec n'importe quel outil volé, en y ajoutant du style et une touche personnelle, ils ont développé une relation particulière avec l'urbanisme, l'architecture et les transports en commun.
Est-il naturel pour toi de collaborer avec des marques. Comment procèdes-tu pour guider tes choix ?
Dès les origines du graffiti, il était question d'auto-promotion, en écrivant nos propres noms. Utiliser une marque quelconque comme plateforme pour diffuser sa signature est une démarche presque naturelle. Le problème, c'est quand les marques entrent en conflit avec nos propres convictions. Par exemple, je ne travaillerai jamais avec McDo, Disney, Coca-Cola, Baccardi, une marque de cigarette ou de voiture... Je cherche à ne pas m'éloigner de mes principes pour éviter les compromis.
Mode2 présente Hétéroclite. Jusqu'au 22 février à la galerie Sergeant Paper : 38 rue Quincampoix 75004 Paris. Entrée libre.