Rayon frais

Musique

par @FrancoisChe

Dans la discothèque idéale de Don Rimini, rescapé des années turbine

Dans la discothèque idéale de Don Rimini, rescapé des années turbine

En une décennie, ce pilier de la blog house made in France dans la seconde moitié des années 2000 a tout connu : les hits, les clubs surchauffés et une génération de kids qui hurle sur le dancefloor. Après une flopée de maxis, Don Rimini publie All In, un premier album en hommage à la house de Chicago et à la techno de Detroit. Pour l'occasion, nous avons exploré la discothèque du producteur parisien exilé en Belgique.

Le premier disque que tu as acheté avec tes sous, c’était quoi ?

Je me souviens, tout gamin, d'avoir eu en cadeau des 45 tours comme The Reflex de Duran Duran, Wake Me Up de Wham ou Pump Up The Jam de Technotronic. Mais, le premier achat avec mon argent de poche, c'était un maxi à la Fnac Montparnasse : Groove Is In The Heart de Deee-Lite. Pour moi, ce disque est une putain de bombe. Je l’ai tellement rincé en scratchant sur le « 1-2-3 » (à 3’40 dans le clip) au milieu du refrain qu’il m'est aujourd’hui impossible de le jouer en l’état, tellement le vinyle craque. Je l'ai creusé au plus profond du sillon, il doit y avoir un trou (rires). La face B est également très cool, avec What Is Love.

Après la FNAC Montparnasse, j’ai, bien-sûr, diggé, partout dans Paris à Champs Disques, The Sound Factory, (l'ancêtre de Techno Import), USA Import Paris (tenu par un certain Laurent Garnier), BPM (rue Keller, à Bastille, une vraie référence disquaire à Paris en techno et house) », Rough Trade, Black Label, Basement Trax… J’y passais des heures et des heures… C'était avant internet.

C'est la fin du monde, ton appart brûle, tu dois te séparer de toute ta discothèque. Par chance, tu peux conserver un disque en souvenir. Lequel choisis-tu ?

C'est impossible ! Je prends tout, il doit y avoir plus de 4000 vinyles chez moi : 35% de techno, 35% de house, 15% de hip-hop/rnb, et 15% de trucs divers (drum&bass, hardcore, funk, disco, pop). C’est un vrai trésor. Chaque disque acheté représente quelque chose de particulier, une époque aussi… Je regarde déjà la cote du disque sur discogs, non je déconne… A vrai dire, je m’en fiche. Un disque représente tellement plus, pour moi, que sa simple valeur monétaire. Impossible de m'en séparer, même à un prix de fou. Bon, admettons que je n’ai pas le choix. Il y a deux disques qui me tiennent particulièrement à cœur aujourd'hui et je ne peux pas les départager :
We Call It Acieeed de D-Mob, parce que c’est un disque qui appartenait à mon frère. Il était interdit à la vente en Angleterre à l’époque à cause de l’amalgame acid music = acid drug. Sans les disques de la collection de mon frère et sa passion pour la musique underground, je ne saurais probablement pas ce qu’est la house ou la techno, je n’aurais pas été DJ et Don Rimini n’aurait pas existé.

Et Amazon de World 2 World (Underground Resistance), évidement un disque de UR ! Et, ce track en particulier. Tellement d’émotions dans ce morceau. C’est l’histoire de la techno, de Detroit, d’un label légendaire, de Mad Mike. Un disque trop important pour moi pour le laisser brûler.

Un track un peu honteux que tu adores ?

Don Quichotte de Magazine 60, une chanson super super kitsch des années 1980… Mais je kiffe ce track. Je me souviens que Svengalisghost, un artiste cool avec qui j’ai mixé en after il y a quelques temps déjà, avait ce disque dans son bac. Trop content qu’il le joue lors de la soirée. On a bien ri, mais surtout dansé. Tu remarqueras surement la beauté du clip tourné à Paris (rires).

Ton groupe préféré quand tu étais ado ?

A l’époque, je kiffais le Wu-Tang, De La Soul, Public Enemy, Arrested Development, IAM, NTM, The Prodigy, Nirvana, Daft Punk… Mais c’était pas vraiment ma came les groupes, pas en mode fan dans tous les cas. A 14 ans, j’ai eu mes premières platines vinyles et une table de mixage, et je rêvais de mixer de la techno. J’étais plus fan de label, de club ou de crew comme Underground Resistance, Dance Mania et F Com. J'ai une collection de tee-shirts de cette époque qui le prouve ! Le Fuse à Bruxelles, le Tresor à Berlin, Cosmos Factory (parmi les premières raves en France), Axis, le label de Jeff Mills.

Un morceau qui a tout changé ?

En fait, il y a plein d’artistes qui ont changé la donne avec un titre, selon les époques, en créant un genre, ou en le démocratisant. Selon moi, le morceau qui a lancé le mouvement électro maximal du milieu des années 2000, c’est Rocker d'Alter Ego. Un morceau que je n’aimais pas du tout au début mais qui à clairement ouvert la voie au son électro qu’on a entendu pendant les 10 années suivantes. C’est un mélange entre Flat Beat de Oizo pour la texture trash et un track à la structure pop. Le premier EP de Justice, Waters of Nazareth, s'inscrit dans la même lignée. Justice a démocratisé le genre.

A titre plus personnel, je citerais Pony de Ginuwine, produit par Timbaland. La révolution hip-hop des années 1990. Même si mon style de prédilection est le hip-hop produit par DJ Premier, avec des beats et des samples de funk ou de soul. Timbaland a su insuffler quelque chose de moderne dans le hip-hop avec ce titre et ceux produits pour Aaliyah, à la même époque. Les sonorités de ce titre sont plus liées à la musique électronique qu’à la soul, avec ces synthés qu’on entendait seulement dans des productions de dance, et des beats super futuristes. Aujourd’hui encore, je sens son influence dans plein de productions récentes de hip-hop, de trap, ou de post trap.

Et je suis obligé de citer It's Time for the Percolator de Cajmere, le morceau à l’origine de la ghetto house. C’est un ultimate classic. Je suis tellement fan de Curtis Jones… Tous les mecs qui écoutent de la house, de la techno, ou des trucs plus ghetto connaissent ce titre, non ?

Ces 10 dernières années, tu as fait des centaines de dates. Quelle est ton anecdote la plus dingue ?

Je vais te raconter une histoire, je crois que trois personnes seulement sont au courant dans mon entourage. Sur la tournée de mon live, on a eu très très chaud pour la toute première date, aux Transmusicales de Rennes en 2011. En fait, après de nombreuses répétitions, et une semaine de filage au Cargo à Caen, la synchro entre le son et la vidéo n’a jamais marché. On a donc du improviser le soir même de la premiere. J’étais en relation permanente avec la régie façade, où était placée l’équipe vidéo. On me donnait des tops dans mes retours pour que la video soit synchro avec le son. Du coup, je pense qu’aux premiers rangs, dans la fosse, ils ont du entendre les instructions qui venaient de mes retours, car je n'avais pas d'oreillettes. Mais, malgré cette grosse galère, le show a été incroyable et le public conquis. Pour la suite de la tournée, on a heureusement réglé le problème !

Quel est le dj/producteur avec qui tu aimerais vraiment travailler ?

J’aimerais beaucoup travailler avec Chambray, parce que c’est un ami, et que j’adore ses productions. On a commencé à s’envoyer quelques pistes pour une collab, il y a peu. Je pense à deux autres personnes : Kid Enigma, et Beaumont Livingstone, parce que je kifferais avoir leur voix sur mes tracks. Je pense qu’on est dans le même délire et que ça pourrait matcher. J’ai aussi discuté avec Scottie B, le légendaire producteur de Bmore, qui voulait qu’on travaille ensemble, ce serait fou ! J’aime bien les collabs, mais c’est juste un enfer au niveau du timing, car on n’est rarement disponible au même moment.

Quel est ton meilleur souvenir de live électro ?

Un ancien, d’abord, je crois que c’est à la fin des années 1990 : Le live E-Dancer à la Villette. Je suis un grand fan de Detroit Techno, de KMS Records, de E-Dancer et donc de Kevin Saunderson. Je connaissais tous les tracks, les grosses nappes de basses… Ils étaient 4 sur scène si je me souviens bien, et ils ont fait des versions extended de leurs tracks, c’était jouissif, unique. Je n’ai jamais vu ce live se reproduire, du moins en France, et Il n’existe à ma connaissance aucune video de ce live ou même d’un live de E-Dancer disponible sur YouTube. J’ai eu un peu de chance sur ce coup là.

“Je ne peux plus écouter de turbine. Je ne supporte plus ces synthés stridents et agressifs”

Sinon, le meilleur live depuis quelques temps maintenant c’est définitivement Kink. J’aime tout. Des petits accap ajoutés sur vinyles aux mélodies profondes, de l’aspect ludique avec le public jouant les beat makers avec l’artiste au swing des compositions improvisées. Ce mec est un génie en live. Et sa musique me parle clairement. Il suffit d’aller le voir, ou de checker ses vidéos de live. C’est dingue !

Un petit coup de coeur pour Jacques aussi. C’est un vrai fou, dans le bon sens. Il arrive sur scène sans savoir ce qu’il va jouer, ou même, par quoi il va commencer. Et j’ai été assez bluffé, car c’est vraiment bien foutu et en totale improvisation. Du coup, chaque performance est unique. Un peu dans la veine d’un Matthew Herbert il y a quelques années.

Est-ce que tu achètes encore beaucoup de vinyles ?

Pour être franc, non. Je n’achète plus de vinyles. On trouve presque tous les titres que l'on veut sur le net au format digital. Maintenant, l’objet vinyle est quelque chose de sacré pour moi, comme je le disais auparavant. Je ne me séparerais jamais de mes vinyles. J’ai commandé quelques pièces sur le net à une époque. J’allais chez Nuloop.com (fermé en 2013) ou je commandais sur Phonica, et Juno aussi. J’ai beaucoup beaucoup diggé à une époque, passé des week-ends entiers pour écouter un milliard de tracks. Aujourd’hui, je suis à l’aise avec le format MP3 ou WAV, je fais la même chose tout en restant au chaud. Je ne suis pas nostalgique non plus, un vinyle a une vraie valeur à mes yeux. Je vais d’ailleurs mixer le 17 Décembre dans une soirée à Liege, juste avec mes vinyles en B2B. Et je prépare un set 100% vinyles aussi pour une chaine vidéo façon Boiler Room qui s’appelle Contre Culture à Bruxelles.

“J'ai été très touché par le feedback de Laurent Garnier”

De plus, je suis en train de réfléchir, à mettre mon album et mon catalogue, sur une plateforme qui s’appelle vinylit.co. Elle permet de faire des vinyles personnalisables, tu peux mettre tous les morceaux de ton catalogue sur ton propre vinyle. Ça devient un objet unique. Comme je reçois pas mal de demandes pour avoir l’album en vinyle, les gens pourront choisir à la carte ce qu’ils veulent mettre sur leur vinyle. Surement pour début 2017.

Parmi les djs/produteurs qui jouent tes morceaux, quel est celui dont tu es le plus fier ?

Il y en a plusieurs. Et c’est ça qui me plait, ne pas rester dans une seule catégorie. J’adore savoir que mon album a pu plaire à un mec qui écoute de la house en même temps qu’un mec qui mixe ghetto, et un autre qui est un dieu de la techno comme Laurent Garnier. J’ai été très touché par son feedback. Quand il aime vraiment un track, il te le dit, et c’est sincère. Je dois dire que ça fait extrêmement plaisir. Il y a aussi Scottie B. Ce mec est une légende à Baltimore. Mais je dois avouer que celui qui me touche le plus, c’est Dj Deeon, encore une légende de la musique électronique. Il commence ses sets par The Badlqqk et joue Strip Poker quelques minutes après. Mon album est dédié aux sons des années 1990, à la ghetto house, à Dance Mania, à tous les producteurs de Chicago… La boucle est bouclée. J'ai réussi mon pari.


La collection de tee-shirts de Don Rimini

Entre 2005 et 2010, la blog house a été beaucoup jouée dans les clubs. Que retiens-tu de cette époque ?

Pour être honnête, j’ai kiffé à fond cette époque. Les DJ sets ressemblaient plus à des concerts de pogo qu’à un truc de club. Un truc ou on se lâche vraiment sans peur du lendemain. Si je ferme les yeux et que je repense à cette époque, je vois des gens qui hurlent de bonheur, des gens qui sautent partout. Bref, un gros bordel quoi.

“Il me faut une journée entière pour préparer un set d’une heure”

Mais aujourd’hui, je ne peux plus écouter cette musique. Je ne supporte plus ces synthés stridents et agressifs. Je suis humain, et comme tout le monde, j’aime le changement, la nouveauté. Avec un tel succès, il y a beaucoup d'excès, trop de saturation, de compression… Difficile d’aller toujours plus haut, plus fort, plus cognant quand on est déjà dans le rouge. Je ne crache pas dessus, c’était très bien pour l’époque, mais aujourd’hui j’ai besoin d’écouter autre chose. Ce style reviendra peut-être dans 10 ans ou sous une autre forme. C'est une histoire de cycle. Aujourd’hui, Je suis ravi de retrouver mes amours d’adolescent : la house et la techno.

Comment procèdes-tu pour préparer tes mixes ?

Il me faut une journée entière pour préparer un set d’une heure. Alors peut être que c’est un peu trop, mais c’est impossible pour moi de faire autrement. Je suis assez perfectionniste. Je travaille tout, le track d’intro, le final. Il faut de la vie dans un mix, éviter le truc linéaire. Je prends soin de toutes les transitions. Je cherche les tracks qui vont parfaitement ensemble. Et j’essaie toujours de ne pas tomber dans la facilité et de me démarquer des autres. C’est beaucoup de boulot. Mais le résultat est la pour moi. Je peux réécouter presque 90% de mes mixes sans rougir. Ce que j’attends d’un DJ c’est une putain de sélection et un peu de technique, parfois essayer de raconter une histoire sur des sets de plus d'une heure. Donc j’applique à moi même ce que j’attends des autres.

Combien as-tu de morceaux dans ton Itunes ?

Environ 36 000 tracks. J’ai récemment enlevé tous les mixes de DJ que je conservais, pour les archiver ailleurs. Je dois avoir 200 Go de Mixes, de Laurent Garnier, Ben Sims, Dave Clarke, Dj Sneak, Green Velvet, Charles Siegling, The Horrorist, Dj Funk… J’ai du arrêter de collectionner ces mixes en 2004. C’est de l’archivage pour les générations futures. Au niveau des tracks sur mon iTunes, j’en ajoute et conserve environ 150 à 200 par mois, parmi environ 500 écoutés en moyenne tous les mois. Ça vient de Soundcloud, de promos envoyées, de Beatport, de discussions sur les réseaux sociaux avec d’autres artistes. C’est aussi mon boulot, chercher le track !

Le titre que j’ai le plus joué, je pense que c'est Let Me Back Up. Les gens se sont emparés du titre. C’était fou de voir la réaction que pouvait engendrer ce titre à chaque fois que je le mixais. Les gens hurlaient ! On a longtemps continué à me le demander en soirée. Ce titre a eu une très longue vie pour un single.

Prochaine date : « All In Release Party », le 30 décembre au Nouveau Casino, à Paris. Plus d'infos

L'album de Don Rimini est dans les bacs. Pour l'acheter. Pour l'écouter.

Crédit photo portrait : Alessio Mucceda SKD


Propos recueillis par François Chevalier