#3 Micflow a.k.a. Flo No Stress - Part I
par Asma
On est le 20 avril, il doit être quelque chose comme 9 ou 10h, nous sommes dans un van en route vers la Mauritanie.
Sur la droite de la brousse, sur la gauche des champs un peu plus verts et au fond le fleuve Sénégal qui sillonne l’horizon. La route comme seule frontière: une langue de bitume géante qui sépare sécheresse et abondance. Il commence déjà à faire chaud mais l’air est encore tenable. Nous sommes partis de St-Louis au Sénégal, ça doit faire maintenant une bonne dizaine de jours que nous avons quitté la France.
Hier soir, le concert fut, malgré un système son bancal, en passe d'achever l’Institut Français: une réussite! Le seul bémol, parce qu’il faut être franc, c'était le nombre insignifiant de sénégalais dans le public. Il y avait pas mal d’expats, c’étaient surtout des personnes venues pour la coopération internationale et humanitaire. Ça change de l’interprétation que je me faisais des expatriés en général, on en avait croisé en Inde et ceux là nous avaient un peu choqués. Personnellement, j’avais pas envie de le faire ce concert, mais c'est souvent dans ces moments là qu'on rencontre de bonnes surprises.
Pour mieux comprendre, il faut revenir en arrière, quinze jours plus tôt exactement. Départ de Paris, direction Praïa au Cap Vert, c'est le Jour J pour l'étape n°1 de notre tournée Just A Musical Trip. En réalité, les choses se sont passées différemment pour moi. Mon arrivée là bas s’est faite solo et avec un peu de retard suite à un problème de visa qui ne m'avait pas été délivré.
Du coup me voilà parachuté sur Sal, une autre île du Cap Vert, afin d'obtenir les autorisations nécessaires pour rejoindre mes comparses. Sal c’est l’île aux touristes, là où les vieux peuvent s'offrir des souvenirs en continu toute la journée. Normal aussi, vu la grosse technique de force de vente, on ne te laisse pas vraiment le choix.
Ça y est, je suis en Afrique! Enfin à ce moment là c’est ce que je pensais. C'est le Cap Vert, et comme tout archipel ou île qui se respecte, le climat général y est différent du continent qui la possède.
Il est 23h quand j’arrive à l'hôtel, environ 2h du matin en France. Mon premier réflexe c’est de trouver à boire, eau et coca, le minimum vital. Mes bouteilles en poche je file dans ma chambre. Trop fatigué, j’irai rôder demain, et puis en vrai, j’suis pas trop du genre Indiana-Jonesque.
Dans ma chambre, comme un bon nolife, je regarde avec délectation le premier épisode de la dernière saison de Games Of Thrones. Il est sorti hier aux USA, je suis dans les temps, comme si je n’avais jamais quitté mon appart. Je m’endors avant la fin, comme ça je peux faire durer le plaisir.
Au réveil, je pars m'aventurer dans la ville, je cherche le premier café expresso disponible, m’attable à une terrasse et me réveille doucement. Autour de moi, des vieux en short, bob et birk... Putain y'a des hollandais! C’est là que je capte l’endroit, un piège à touristes géant! 'Faut que je bouge.
Sur le chemin du retour, je me fais intercepter par un premier vendeur, il veut me faire acheter des Ray-Ban. Coïncidence, j'avais pour projet d’en acheter en Duty Free en France, mais ne partant plus de Charles de Gaulle, je me suis retrouvé dans une aile d’Orly un peu pourrie où il n’y avait pas grand chose, à part des sandwichs à 6 balles, et là mon pote t’as encore faim après. J’en ai pris un vu que j’avais quand même la dalle… Ça me dégoûte en y repensant! En ajoutant une boisson et un café, tu peux presque louer un appart à Paris. Bref, ce premier vendeur m'avait bien ciblé, verrouillé et terminé proprement.
Un peu plus tard, Dany aka Dany No Stress est le deuxième à m’interpeller, il me rebaptise Flo No Stress, et v'la la technique d'amorce! Il s’approche et me jette un : "Hey ça va depuis hier soir?
- Euh... Je t’ai pas vu hier soir, j’suis pas sorti.
- Ah pardon... " d’un air de on se ressemble tous. Pas faux cela dit, pour lui on est tous des touristes.
Il se présente, me délivre mon nouveau blaze dans la foulée et quand je lui demande où je peux manger, il me montre vaguement une direction puis me conduit vers son magasin.
Naïf, je le suis en pensant qu'il me conduisait vers un resto, mais arrivé devant... Il veut que je bouffe du bois ou quoi?! Des sculptures kitsch partout, c'est rempli de bibelots, bracelets, colliers et autres Attrappe-Micflow! Et il prétend que c’est sa maman qui a tout sculpté, la pauvre n’est pas là, elle doit être fatiguée. Ça ressemblait surtout à des breloques made in China, qui soit dit en passant doit fournir toutes les boutiques de souvenirs du monde, obligé!
Ah merci Dany, j’ai vraiment la gueule d’un pigeon en fait, rrrou rrrrou! Et là attention, il use de sa punchline mercantiliste, d’ailleurs je la recommande fortement, ça marcherait mieux la Fnac rayon disques: "Flo No Stress, tu es mon premier client!". C’est grâce à cette subtile information que je suis passé de pigeon voyageur à pigeon client. J’ai faim bordel!
Seconde feinte, entre en scène le magnifique bracelet porte-bonheur qui promet chance et mojo ad vitam æternam. A prix d'ami bien sûr, pour moi, le premier volatile à euros égaré du jour.
Retour sur la route de St-Louis, direction la Mauritanie. Dans le van, un petit fond du premier album de Youssou N’Dour. Pas pourri entendons-nous, il chante en sénégalais. L'un de nous sort pour pisser, celui qui n’y arrive pas quand on lui parle, du coup on lui parle! Ça fait cinq minutes qu’on l'attend au risque d’attraper un coup de soleil. On est parti tôt le matin et on approche désormais du pic de chaleur. Effet tajine en ébullition comme 5 cuisses de pigeons qui cuisent à l’étouffée façon Just A Musical Frite!
Je suis toujours dans la volière de Dany qui continue de me vendre ses carottes: "Ça c’est la tortue, No Stress! C'est le symbole du Cap Vert.". Et de combien d’autres endroits au monde? Ça, ça dépend de l’exportation chinoise! Il continue: "Là il y'a le papa, la maman, les enfants...
- Dany, arrête, tu veux me vendre toute la collec', t'es sérieux?!"
Il continue d'énumérer la liste des bibelots, j’ai toujours faim, je veux partir, je regarde vers la sortie, j’ai ce vieux bracelet pourri… Je finis par lui prendre sa foutue tortue. Toi à qui j’offrirai cette tortue, t’as de la chance, à ce moment là j’étais encore un pigeon, sache que je me suis bien fait carotte! Putain, la défaite! Avec ma tête de toubab aux yeux bleus, je suis le parfait pigeon. Merde je ressemble à ces caricatures de touristes que j’observais tout à l'heure en buvant mon café!
Après trois alpagues dans les rues de Sal et deux esquives de vendeurs dont je suis on ne peut plus fier, je décide de me réfugier à l’hôtel pour finalement manger. Mouais, c’était bof. Cool, Sal, j’en garderai un souvenir impérissable, je suis là pour taffer bordel, mais qu'est ce que j'ai foutu?!
Je monte dans ma chambre, refais mon sac, visse ma casquette, je sors, attrape un taxi, ou plutôt c'est lui qui m’attrape, je sais plus trop là... Direction l’aéroport, j’me casse à Praïa, une autre île du Cap, là où l’équipe d'Under Kontrol m’attend.
Route de Saint-Louis, on commence à rentrer dans la zone désertique, la langue de bitume ne sépare plus que le même paysage, une brousse de plus en plus sèche, quelques hameaux, de temps à autres en ciment, de temps à autres en bois. Et d’un coup, bim, des rizières. Encore un coup des chinois?! On revient donc vers le fleuve.
St-Louis, Sénégal, Mr Lips
Dans le taxi au Cap Vert, direction l’aéroport, le chauffeur baragouine un peu le français (la langue officielle là bas étant le portugais), il me dit qu’à Praïa c’est plus chaud et qu’il y a des pirates. M'en fous, j’veux retrouver mes potes, les pigeons sont plus forts en bande!
J'embarque dans l’avion, débarque à Praïa, aussitôt descendu, on pose mes affaires à l’hôtel, j’dis bonjour aux gars rapidement, et on file sur le lieu du concert, il doit être 21h.
C'est un festival de rue avec une grosse ambiance, des gens partout, des sourires, personne qui veut me montrer, pardon, me vendre des "sculptures made in sa daronne", les gens sont peace, No Stress (ahhh sacré Dany!) et la fête se laisse aller dans une atmosphère bon enfant.
Le groupe qui ouvre notre scène vient de l’île de Curaçao. La chanteuse est pulpeuse et a autant d’énergie qu’elle est sensuelle! Un fond de musique electro, des instruments tradi, un genre de Buraka Som Sistema, tu vois?
Le groupe remplit la foule de leur energie et nous charge aussi de la même substance. On monte sur scène, c’est notre tour. Dès l’intro les gens sont avec nous, et moi je suis enfin avec mes potes, bye Dany!
Fin de la Partie I
MICFLOW (Propos recueillis et mis en forme par Asma)
#justamusicaltrip #strictlyfromthemouth #underkontrol