
Prefuse 73 : Hyperactif
Boulimique de travail, architecte sonore aux identités multiples, précurseur d’un genre musical mêlant étroitement hip-hop et électro… Guillermo Scott Heren livre en ce printemps pas moins de trois projets différents. Le premier laisse libre cours à son personnage le plus connu, Prefuse 73, avec un nouvel album baptisé Everything She Touched Turned Ampexian (Warp).
C’est également sur le label électro britannique que Guillermo sort Ice Capped at Both Ends en compagnie du batteur Zach Hill avec qui il forme le néo-duo Diamond Watch Wrists. Last but not least, La Llama, nouvel opus de Savath & Savalas sur Stones Throw.
Street Tease : Comment ça va ? C'est la première fois que tu viens en France ?
Prefuse 73 : J’aime bien cette question, je vais donc te répondre que je vais bien. Je suis déjà venu plusieurs fois pendant les 10 dernières années lors de Press Tours. Là c’est vraiment uniquement pour de la promo, j’ai commencé au Japon, aujourd’hui en France, demain je vais en Espagne, ensuite je retourne aux Etats-Unis…
Et tu n’en as pas marre de la promo ?
Non ça va, au début un peu, mais maintenant je suis habitué, cela fait parti du métier.
Comment ça a commencé la musique pour toi ?
En fait c’est ma mère qui m’a principalement influencé, en me faisant écouter de la musique à longueur de journée et en me poussant à faire de la musique. C’est véritablement ça qui m’a motivé à devenir musicien. Mais c’est au lycée que j’ai commencé. Je n’avais pas d’argent, j’avais plein de disques et je ne pouvais pas m’acheter de sampleur. Du coup je pratiquais beaucoup d’instruments, j’ai rencontré d’autres jeunes qui faisaient de la musique et j’ai fait donc parti de quelques groupes, on faisait une sorte de space rock… Un peu plus tard, j’ai trouvé du boulot dans un studio de hip-hop qui faisait des trucs dirty south. Cela m’a permis de m’acheter ma première MPC, d’utiliser un peu le matos qu’il y avait dans le studio, et de découvrir le processus d’enregistrement. J’ai réalisé mes premiers beats à ce moment là. Ce qui est intéressant, c’est que je faisais tout pour ne pas faire des beats déjà entendus, d’ailleurs je n’ai jamais copié quelque chose qui existait déjà, même si au début je faisais un peu de la merde…
Tu as su donc très jeune que tu voulais faire de la musique alors…
Oui, j’ai vraiment tout fait pour en faire mon métier. Je ne voulais faire que de la musique. D’ailleurs, au départ, ça a rendu ma mère un peu folle même si c’est elle qui m’a poussé car elle ne voyait que les mauvais côtés de l’industrie musicale, drogue, groupies... Tout a fonctionné et je lui suis vraiment reconnaissant. Ma mère a toujours peur aujourd’hui, elle me demande régulièrement si je veux continuer à faire de la musique, ce qui est assez étrange.
Tu utilises beaucoup de samples ?
Oui, j’essaie de découvrir des choses, tout le temps, j’écoute de la musique à longueur de journée, je passe beaucoup de temps à essayer de trouver des boucles intéressantes.
"Je n’ai jamais copié quelque chose qui existait déjà, même si au début je faisais un peu de la merde…"
Ça veut dire que tu achètes beaucoup de disques ?
En fait j’achète moins de disques maintenant que j’ai un enfant. Et oui, j’utilise mon argent pour acheter des couches…
Comment as-tu réagi en signant chez Warp ?
Je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre, j’étais jeune, je travaillais beaucoup, je faisais tellement de musique en ne mangeant que des nouilles avec ma copine… Franchement, je me suis dit « What the fuck ? ». Quand tu es jeune comme ça, signer sur un tel label semble vraiment énorme, c’est à la fois nouveau et terriblement excitant. En plus, se dire que l’on va être payé pour faire de la musique, c’est vraiment quelque chose d’incroyable. Certes cela m’a rendu important dans le monde de la musique, mais j’ai relativisé car je suis vraiment quelqu’un de normal, j’essaie simplement de continuer à faire ce que j’ai envie de faire.
Est-ce qu’à l’époque tu as rencontré certaines de tes idoles musicales ?
J’ai tellement d’influences en musique, je rencontre des personnes tout le temps. Quand tu commences à faire un nouveau disque, tu rencontres des gens, d’autres musiciens, ce ne sont pas forcément des idoles, mais cela m’inspire et cela représente énormément pour moi. Je respecte vraiment les musiciens. J’apprends beaucoup des rencontres, et je crois que c’est la meilleure chose qui existe dans mon métier. J’espère donc continuer à faire ça longtemps, faire le maximum de collaborations. Bien sur il y a des gens qui t’impressionnent, mais cela peut aussi être l’inverse.
Tu as influencé beaucoup de beatmakers, je pense notamment à Exile ou encore Flying Lotus. En es-tu conscient ?
Disons qu’on me le dit souvent, mais je ne m’en rends pas vraiment compte. C’est vraiment une chose étrange. Les gens me disent que ce que j’ai fait a influencé beaucoup de monde, a ouvert certaines portes musicales. Honnêtement au début, j’essayais juste de faire quelque chose pour les amateurs de hip-hop. Cela a peut être pris des proportions trop grandes. J’ai simplement fait mon son, et cela me ravit si des beatmakers considèrent mes premiers albums comme une influence, même si ça me parait bizarre. Quand j’ai commencé, dans les années 90, je n’avais pas pour intention de lancer un nouveau genre, simplement de faire mes trucs. J’avais juste une MPC, pas de connexion internet, je faisais mes beats bizarres, je faisais mon propre hip-hop. Après, les gens ont dit que je faisais de l’electro hip-hop, du glitch, enfin tout un tas de noms étranges pour décrire ma musique. Moi ça me passe un peu au dessus tout ça, d’accord c’est plutôt cool, mais ça s’arrête là.
Tu n’as jamais eu envie de rapper ?
Non, vraiment pas. J’ai déjà assez de projets et les gens ne veulent pas m’entendre rapper ! C’est vraiment un talent qu’ont les rappeurs et je ne crois pas le posséder. En plus, il y a tellement de rappeurs aujourd’hui avec des flows tellement différents... Peut être qu’à l’époque où tous les flows étaient les même, j’aurai pu. Maintenant c’est vraiment un challenge difficile, et ce n’est pas le mien. Ou alors je ferais un truc marrant à la Madlib, quelque chose de complètement barré.
"J’apprends beaucoup des rencontres, et je crois que c’est la meilleure chose qui existe dans mon métier."
Comment as-tu rencontré Dan McPharlin qui a réalisé la pochette de ton nouvel album en tant que Prefuse ?
Je suis un peu un nerd, j’aime beaucoup les art-books, j’ai donc su qui il était rapidement. J’ai vu beaucoup de ses œuvres, et j’ai aimé tout de suite. Je trouvais que cela collait vraiment bien à ma musique. Je sais que quoi qu’il fasse, cela va être bien. Je le respecte vraiment comme artiste. Pour cette cover précisément, j’ai un peu fait le directeur artistique, je lui ai demandé quelque chose d’organique représentant ma musique. Le résultat est excellent, j’adore cette cover.
Pourquoi avoir appelé ton album Everything She Touched Turned Ampexian ?
Simplement parce que tout le disque a été enregistré avec une cassette analogique Ampex. C’est une machine que j’ai acheté sur Ebay, je l’ai utilisée pour tout enregistrer. Il arrive parfois des accidents mais justement, c’est ce qui arrive avec ce type de matériel. C’était vraiment un processus d’enregistrement amusant et kiffant, ça permet également de sortir de toute cette merde qu’on entend à longueur de journée. Je voulais en quelque sorte revenir au son crasseux hip-hop du début des années 90. Avec ce matériel, une fois que c’est fait c’est fait, tu ne peux pas remodifier le son. Il ne faut pas se tromper quand tu enregistres sur ce genre de matériel, et c’est cela que je trouve essentiel.
Qu’est ce qui t’influence le plus dans tes productions ?
La plupart du temps, ce sont des souvenirs, dans le sens nostalgique. Mes sons hip-hop préférés remontent à pas mal d’années et cela me rappelle toujours quelque chose de spécial, quelque chose que j’ai vécu, une expérience, un moment précis dans ma vie. Cela a un sens un peu dramatique d’ailleurs. Mais j’aime les sons émotionnels, qui touchent au large spectre des émotions. En fait j’essaie de faire en sorte que quelque chose se produise lorsqu’on écoute ma musique.
Est-ce que la scène est importante pour toi ?
Oui, j’essaie de faire une tournée pour chaque album et je joue de la même façon que ce soit devant 5 personnes ou devant 2000. C’est vraiment pour le public que je fais des tournées. C’est une autre partie du boulot et je l’adore.
Comment se porte ton label Eastern Developments?
Plutôt bien, on fait les choses à notre rythme. Disons qu’on n’a pas vraiment de plans marketing tout ça, on ne fonctionne pas comme les gros labels, on essaie simplement d’aider nos amis. C’est vraiment un label pour les artistes, un peu comme à l’époque des 70’s, c’est comme cela que l’on fonctionne. On veut ne jamais s’arrêter.
"J’essaie de faire en sorte que quelque chose se produise lorsqu’on écoute ma musique."
Ton nouveau projet sous le nom Savath & Savalas sort bientôt...
C’est un projet vraiment excitant qui sort en mai chez Stones Throw et où je suis accompagné de Roberto Sarlos Lange et Eva Puyuelo Muns. On est meilleurs musiciens maintenant, mais ironiquement on a laissé ça un peu de côté, alors que c’est plus naturel, plus émotionnel, plus pur, ce n’est touché par personne d’autre. C’est vraiment notre disque préféré et c’est sans aucun doute l’un de mes projets préférés. Il faudra me tuer pour que j’arrête de jouer avec eux. Cet échange entre nous trois se passe tellement bien, il faut qu’on continue.
La dernière chanson du nouvel album de Prefuse a été faite avec le batteur Zach Hill et donne lieu à un nouveau projet : Diamond Watch Wrists.
J’écrivais des chansons, un peu embarrassantes, j’ai essayé de les faire sonner jolies, mais sans succès. J’ai mis du temps à réaliser ce projet, il m’a fallu des nerds et des couilles. J’ai donc choisi d’autres musiciens pour créer une harmonie, dont Zach. Je me suis bien entouré et cela m’a permis de jouer d’une façon différente. C’est vraiment excitant pour moi, je joue de façon plus lente, je me mets une certaine contrainte, on laisse tomber le côté individuel et on joue tous ensemble. J’ai l’habitude de rejeter tout ce qui est lent, et là c’est un peu fou, j’ai accepté de le faire. Cela sortira en mai chez Warp.
Est-ce qu’il y a des rappeurs qui t’ont demandé des beats récemment ?
Oui, mais je leur dis : « qu’est ce que tu veux que je fasse ? ». Mon son est un peu différent de ce qui se fait aujourd’hui. Spank Rock m’en avait demandé, mais ma musique est peut être un peu trop nostalgique. J’ai travaillé avec Kid Sister à ses débuts, je lui ai dit « écoute, tu es sans doute la fille la plus cool que j’ai rencontré, la plus adorable, mais je ne peux rien pour toi ». Je savais que ma musique n’était pas pour elle. C’est dommage car on avait vraiment une alchimie, quelque chose de fou aurait pu naître de cette rencontre. Je lui ai dit qu’elle pouvait trouver mieux, qu’elle devait s’entourer d’autres gens. C’est ce qu’elle a fait, cela a marché pour elle et j’en suis vraiment content.
"C’est ça qui est intéressant, le fait de casser des murs, de dépasser les frontières établies."
Et avec des artistes français, ça te brancherait ?
Je ne connais pas vraiment beaucoup d’artistes français, à part Daft Punk peut être dans la scène électronique. Je ne sais pas comment la musique française électro sonne en général. Bien sur j’adorerai faire quelque chose avec les Daft Punk, je leur dirait : « les gars, ça vous dirait de faire truc complètement déjanté, un son hip-hop encore jamais entendu, quelque chose de vraiment bizarre, quelque chose d’inattendu ? Pas forcément pour les clubs, faisons juste quelque chose, allons en studio et créons ». C’est vraiment un rêve de travailler avec des gens comme eux. C’est un peu paradoxal d’ailleurs puisque j’ai un disque qui va sortir chez Stones Throw et qui n’a rien de la musique jouée en club actuellement, mais c’est ça qui est intéressant, le fait de casser des murs, de dépasser les frontières établies. Franchement j’adorerai bosser avec eux.
C’est quoi le dernier disque que t’as kiffé ?
Le dernier Animal Collective et le nouveau disque de Fever Ray qui est vraiment bizarre, un peu de 80’s, de l’electro, des vocals, c’est complètement inattendu et j’adore.
Auteur : Alino
Photos : Droits Réservés