
Craig Costello aka KR : « L’esthétique Krink a eu un impact global dans la rue »
C'est l'histoire d'une encre qui coule de NYC à Tokyo. Des taggeurs complètement addict, recouvrent les murs des rues qui deviennent sauvagement sexy. Aucune garde à vue ne les fera revenir à la raison, la KRINK dépendance est bien trop grande.
Au début des années 90, Craig Costello aka KR, graffiti artiste originaire du Queens, décide de créer sa propre encre en mode DIY. Plus qu'une simple recette maison, une véritable marque de fabrique, qui va contribuer à la renommée de KRINK. De gros tags dégoulinants apparaissent dans les rues de San Francisco et bouleversent les codes établis, la scène locale est interloquée, KR devient un writer incontournable.
Le bouche à oreille se développe dans le monde du graffiti, et 8 ans plus tard, lors de son retour à NYC, le projet prend forme. 20, puis 40, 80, 150 flacons sont produits petit à petit et se vendent immédiatement. Visionnaire, KR a créé un produit destiné à une utilisation illégale mais reconnu aujourd’hui comme la marque d’encre et marqueurs la plus qualitative, redéfinissant un marché à la base plutôt conventionnel. KRINK coule aujourd’hui dans le monde entier. Un véritable mouvement se crée autour de cet esthétisme particulier, du tag aux peintures, de la rue aux galeries, en passant par des objets prêts à se faire pimper. Celui qui s’est fait connaître dans le Queens et à SF en commençant par graffer des énormes KR il y a plus de 15 ans, se retrouve aujourd’hui comme un des artistes les plus en vue… Des marques comme Nike ou Incase ne sont pas restées insensibles à ses boites aux lettres et murs dégoulinants. Et des artistes comme Jonone ou Shepard Fairey deviennent tout autant addict que nous à l'utilisation du squeezer.
Interview avec le plus underground des businessmen qui se ferait un plaisir de repeindre votre maison a l'extincteur !
Street Tease : Tu as commencé le graffiti dans les rues du Queens, comment c'était ?
Craig Costello : J’ai grandi avec un paquet de potes taggeurs et dans les années 80, mon grand frère graffait des trains et les autoroutes. Plus jeune, j'ai fait beaucoup de skate, sachant que les sessions de graff pouvaient tourner assez rapidement en baston, je préférais éviter de me faire défoncer. Je ne m’y suis impliqué que plus tard, vers 17 ans, mais le graffiti était déjà clairement omniprésent durant mon adolescence.
Est-ce que le fait de bouger à San Francisco a influencé ton taf ?
A San Francisco, c’était vraiment soft et easy de tagger dans les rues, idem pour choper du matos. Dans l’ensemble c’était plus tranquille, la créativité y était hyper forte et j’étais tout seul. C’était une bonne expérience pour moi de quitter mes origines pour voir quelque chose de différent, une manière de vivre différente. J'ai intégré une école d’art dans laquelle j'ai étudié l'histoire de l'Art, les techniques, le Californian style... La culture est différente de NYC où les gens sont sans cesse en train de bouger. La ville doit beaucoup à l’Europe. La Californie est plus progressiste et ouverte aux nouvelles idées. C’est un spot hyper influent et intéressant.
« La plupart des marqueurs n’étaient pas efficaces sur les murs sales. J’ai testé beaucoup de formules pour arriver à un mélange composé d’éléments naturels. »
Est-ce que les tags dégoulinants ont toujours fait partie de ta signature ou est-ce que c’est venu avec le concept de ton encre ?
Quand j’ai bougé sur SF, j’étais vraiment intéressé par cette façon de tagger à l’encre, je ne sais pas pourquoi, je pensais juste que c’était cool. La plupart des marqueurs n’étaient pas efficaces sur les murs sales et rugueux. J’ai testé beaucoup de formules différentes et j’en suis arrivé à un mélange composé d’éléments naturels et bios. Il n’y avait rien de planifié, il fallait juste trouver le moyen de matérialiser une perception, une envie. Krink était très underground, il n’y avait que moi et quelques potes qui l’utilisions, puis, le style Krink a commencé à dominer dans le paysage urbain de SF. Les coulures résultaient de l’effet naturel des tags réalisés avec cette encre, et sont rapidement devenues fondamentales dans l’esthétique Krink.
Tu aspirais à quoi exactement ?
Cette démarche est née de la volonté de prendre les devants et de se démarquer. Utiliser du matos et créer un style uniques. Et quand les autres commencent à suivre, c’est que t’as atteint un certain but.
Quand je suis reparti sur NYC, ça a été le même schéma. Je taggais moins, mais j’ai commençé à dealer avec des plus jeunes, je leur ai passé du Krink, et ça a vite commencé à se répandre dans le Lower East Side. Les gens disaient : "C’est quoi ce bordel ?" C’était cool !
Il y a une étape déterminante dans l'évolution de Krink, c'est la collaboration avec Alife...
Quand j’ai rencontré les gars d’Alife, ils m’ont dit qu’ils pourraient vendre mes produits, qu'ils allaient m'aider. J’étais surpris mais j’ai dit : "ok". Et ça s’est super bien vendu dès le début. Je crois que mon produit était un des best sellers pour le shop, pendant des années.
J’ai été vraiment surpris de la tournure des événements, dans le bon sens du terme. Ils m’ont beaucoup aidé avec le marketing, on a bossé ensemble sur le projet et à partir du moment où le shop s’est développé vers un pôle créatif et s'est transformé en un point de rencontres pour plein de jeunes artistes, on a tous bossé ensemble sur des projets différents, du design, de la photo, des produits... C’était vraiment intéressant, et ça a été ma première expérience avec le monde du marketing, du design pour des séries limitées, et ce genre de choses.
Comment tu as géré cette réussite ?
Ça m’a aidé à voir les choses différemment. Ce genre de personnes, impliquées dans le marketing, étaient vraiment intéressées par le produit. J’ai créé Krink pour tagger mais pas pour vendre, donc toutes ces idées étaient plutôt nouvelles pour moi.
Après un certain temps, j’ai commencé à m’ennuyer du graffiti, j’ai éliminé mon nom et je me suis mis à ne faire que des drips. La réponse a été super positive de la part de gens très différents. Je faisais quasi tout le temps la même chose, utiliser du Krink sur des portes ou des boîtes aux lettres, et ça m’a pas mal aidé à percer. Ce nouveau style parlait à beaucoup plus de gens. Pour moi ça a été un pas vers l’abstrait et le minimal.
La manière dont tu fais ces drips, est-ce que c’est calculé ou t’y vas plutôt à l’instinct ?
Oui c’est calculé. La couleur, les surfaces, l’endroit, tout est pris en considération.
Considères-tu que ton art est toujours influencé par le graffiti ?
Une bonne partie de mon travail est influencée par mon expérience du tag et par l’intérêt que je porte à l’art contemporain. Mais le graff est juste une de mes expériences. Je ne veux pas être unidimensionnel et ça m'ennuierait d'être perçu comme étant juste un taggeur.
La communauté Krink prend toujours plus d'ampleur, quel est ton point de vue sur l'histoire de la marque, je suppose que tout n'a pas été si facile au départ ?
Même si ces dernières années la réaction des gens est plutôt positive, au début c’était super difficile de faire connaître le nom et gérer la production. J’avais l’habitude de faire ça dans mon appart ! Grandir et être reconnu en dehors du monde du graffiti a pris du temps. Je pense que les gens ont trouvé notre démarche respectable car on a produit et utilisé Krink pendant 8 ans avant de vendre la première bouteille. Aujourd’hui c’est souvent le contraire, beaucoup de gens commencent d’abord un business avant même d'avoir testé ou fabriqué le moindre produit.
Comment penses-tu faire évoluer les produits Krink ?
Pour les produits, on développe sans cesse de nouveaux supports, de nouvelles couleurs, pour étoffer la ligne actuelle. En ce qui concerne la marque, on travaille sur plus de designs, pour continuer à s’établir comme un label de qualité fait par des artistes pour des artistes.
Est-ce que bosser sur des collabs avec Nike et Incase, par exemple, ouvre maintenant plus de possibilités ?
Ouais c’est clair, ça nous a aide à promouvoir Krink auprès du grand public.
Te considères-tu comme un artiste ou un businessman ?
C’est assez délicat. Mon principal business c’est Krink, donc si on veut définir mon taf, je fais du biz en réalisant des produits et des projets créatifs. Je ne vis pas de la vente d’objets d’art. Mais je conçois Krink comme une passerelle vers la sphère artistique. L’esthétique Krink a eu un impact global dans la rue en terme de créativité.
Entretien publié le 23 novembre 2009
Auteur : Julie Machin
Photos : Droits Réservés
Les carnets de Julie Machin (interview réalisée début 2009)