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Supakitch : Compositeur de mélodies graphiques

Du graffiti au graphisme, de la peinture à la sculpture, des posters à la fourrure, de l’art plastique à l’art mélodique.
Installé depuis peu à Brooklyn, Supakitch est un artiste touche-à-tout à l'ouverture d’esprit plus que large et au style global hyper personnel. Cette carte d’identité l’amène à balancer ses messages, au travers de perso-animaux qui ont chacun une histoire et une raison d’être. Un univers qu'il a pu décliné au sein de la marque qu'il a crée en collaboration avec sa femme Koralie : Metroplastique. Tout a bien évidemment commencé par le graff à la fin des années 80…

Supa a peut-être la mamie la plus cool du monde ! Ben ouais, qui d’entre vous a une grand-mère qui vous laisserait graffer sur son mur pour vous entrainer ? Sa famille n’est vraiment pas anodine à cette délinquance artistique qu’on cautionne à 450%.

« C’est le premier mari de ma cousine qui m’a fait dessiner mes premier lettrages, à Bagnolet, je devais avoir 11 ans. Il était Dj hip-hop et sortait des mixtapes, et il faisait lui même ses pochettes. J’admirais totalement son style ! Je voulais faire pareil, il m’a appris à faire des lettres, à respecter leurs proportions tout en leur donnant un style bien graffiti, proche de Bando. »

Complètement admiratif des trains défoncés et des graffs du périf, il s’est mis à faire du mur (c’est là que sa mamie entre en scène). Puis, il a entrainé ses potes, le crew a grandit au collège, et les murs, couloirs, et WC de l’école n’ont pas été épargnés.A cette époque, la culture hip-hop et le graff new-yorkais prenaient une véritable ampleur à Paris, influences plutôt classiques donc.

« Si on doit passer par du collage, de la sérigraphie, ou le macramé pour obtenir le résultat souhaité, on s’en sert. »

Avec une recherche constante d’un résultat, Supa a évolué dans une perspective artistique décomplexée, où le graffiti est devenu un media et non une culture à tout prix.

« Si on doit passer par du collage, la sérigraphie, ou le macramé pour obtenir le résultat souhaité, on s’en sert. Ça serait con de ne pas réaliser une de ses idées simplement parce qu’elle ne l’est pas juste avec des bombes. »

Au fur et à mesure des années donc, les mains peinturées de Supa ont laissé leurs traces dans toutes les villes par lesquelles il est passé, de l’Asie aux USA, et il continue aujourd’hui mais dans une optique plus travaillée, la qualité ne s'estompe pas avec la maturité, bien au contraire. L'hiver dernier, il s’est amusé à jouer avec des spots de NYC, en répandant des Supanimals en fourrure dans toute la ville.

« Je voulais sortir de la peinture, avoir la sensation que cette boule de fourrure existe vraiment. Ne pas poser une peinture ou une affiche comme ça sur un mur et repartir. »

Son projet Listen to my Street s'intègre aussi dans cette démarche. Constat simple de l’objet qui reste le plus visible dans la rue sur les gens : les earphones blancs de l’iPod. Il en a créé une série photo, où des écouteurs d’iPod géants sortent de bouches d’égouts, de la fenêtre d’un appart ou descendent le long d’un arbre.

Gagner plus pour travailler plus

En fait, qu’on aime ou pas l’univers visuel de l’artiste, la qualité, les moyens et les matières utilisées restent complètement barrés et hyper respectables. Mais pour entamer cette démarche, il lui a fallu un petit moment, un déclencheur, celui qui lui a permis de se rendre compte qu’on n’est pas obligé d’être DA pour des clients foireux pour pouvoir manger, et que finalement, ouais la peinture peut se vendre. C’est la galerie Bertin-Toublanc qui est venu le chercher en 2005. Après une expo sold-out, forcément, la vie ne peut prendre qu’un nouveau tournant.

« L’argent gagné pendant cette expo m’a fait vivre pendant un an, et pendant cette année là, j’ai vraiment pensé qu’à ma peinture, ça devrait être comme ça pour tous les artistes, du moins pour ceux qui travaillent dur ! Ça m’a donc permis de travailler plus, d’avoir des projets de grosses sculptures et de pouvoir les réaliser. »

Malheureusement, par la suite, la relation Supakitch x Bertin-Toublanc a un peu foiré. (M. la galeriste Bertin-PAS-Toublanc, pouvez-vous verser ce que vous devez à Monsieur SupaKitch ? Merci). Heureusement que Supa ne se laisse pas faire et que ça reste une exception…  (que du bonheur avec la Galerie Elegance à Taipei, Galerie L.J. à Paris, Babù-Art à Shenzhen et chez Choque Cultural à Sao Paulo).

Anyway, ça ne l’a pas arrêté, et il n’a fait que faire évoluer son monde d’animaux étranges qui ne peuvent s’empêcher de bouffer la musique. Complètement inspiré de la rue, après chacun de ses voyages, Supa agrémente la ville imaginaire de ces personnages (des espèces de ratons-laveurs-mini-ours qui ont, des fois, une fâcheuse tendance à se faire pousser des plumes, et des jambes pour marcher comme les humains…), avec de nouveaux éléments architecturaux de ses villes préférées. Les Supanimals, eux, évoluent avec ses expériences personnelles.

« Ils ont tous une carte d’identité sur laquelle je travaille régulièrement, j’y ajoute des traits de caractère, des réactions face à certaines situations. »

Un but recherché dans cette évolution ? Pas vraiment, mis à part un long-métrage qui lui trotte dans la tête mais, il est bien conscient qu’il s’attaquerait à un projet norme. Alors, la première étape, rapport plus logique à sa manière de bosser cet univers, serait un livre, dans lequel il pourrait jouer plus facilement avec les couleurs.

« Elles sont pour moi comme des notes de musique, des milliers de combinaisons possibles pour des milliers de mélodies graphiques possibles. C’est pour ça que je n’ai pas de couleur préférée, ce ne serait pas possible de me limiter à une seule palette. »

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Allez, et ça recommence, on en revient une fois de plus à la musique. Supa est-il donc un musicien refoulé ? Non pas vraiment. Il s’est essayé à la musique, il est clairement passionné, et il ne peut choisir entre la peinture et la musique, mais il est définitivement visuel. Par contre, la musique ne peut quitter sa vie et ce constat, il devait en faire quelque chose. Listen to My Picture est donc né il y a 4 ans, pendant l’une de ces périodes horribles de remise en question, où il s’était posé ça : la peinture ou la musique ?
Il a donc trouvé le moyen de faire de la musique en peinture. Il a fouillé dans ses vinyles et a peint sa sélection, puis plusieurs finalement, comme un DJ ferait des mixes. Ensuite, les SupaVinyls sont apparus. Véritables chef d’œuvres et témoins de son travail. Hommage au support vinyle qui tend à disparaître face au mp3. Forme et caractéristiques d’un vinyle, technique du circuit-imprimé pour représenter le fichier électronique impalpable qu’est le mp3 et un Supanimal peint, enroulé autour de lui-même, comme un serpent pourrait le faire, pour donner vie à la musique.

« S’il y a bien une particularité aux animaux, c’est qu’ils sont quasiment tous insensibles à la musique. Sauf le serpent qui se fait charmer au son de la flûte. »

Mais dans la chaîne alimentaire du monde de Supakitch, au dessus des SupaVinyls, il y a les SupaPod. Un iPod géant en forme d’animal prédateur qui a l’air gentil comme ça mais qui mange les disques pour les digérer en mp3.
« Je trouvais que l’état actuel de l’industrie du disque était intéressant à illustrer ! […] L’iPod est un véritable phénomène de société, super pop c’est lui le prédateur. Mais pour que ça marche, fallait qu’il est l’air mignon, inoffensif comme dans notre société de consommation. Le seul signe extérieur qui peut trahir le SupaPod, c’est son eye-patch de pirate. »

Dans une relation plus proche avec le DJ, Supa a aussi lancé les packs Tee&Vinyl, comme le maxi BrokenToy sorti avec Vincil From Ummo en 2006, le maxi pour les 15 ans de Pinguins Records fin 2008 ou encore la pochette du dernier album d'Emilie Simon. Et il continue sa Playlist Series en peignant les mixes d’artistes pour les reproduire sur tee-shirts, le dernier en date illustre un mix d’Elroy de Bisou GTi, réalisé spécialement pour l’occasion.

Finalement, on s’attarde sur la musique, preuve qu’elle a une part très importante certes, mais Supakitch a fait, évidemment, pleins d’autres choses complètement folles. Les posters SupaChocolate collés dans la rue, hyper classe ! Puis, sa première expo solo, Ubiquity, fin 2007 par exemple. Deux expositions différentes, deux villes à 7521 km l’une de l’autre, Paris-Miami, et tout ça exactement au même moment ! Il y a aussi les SupaCream, des bâtonnets de glace géants, faits dans le même principe que les SupaPod. Un concept de sculptures de résine qu’il a développé avec Bertrand.

« Le mec avait plaqué son taf de sculpteur/mouleur pour les effets-spéciaux au cinéma et il est venu s’installer dans le sud. On s’est rencontré peut-être 2 jours après qu’il soit arrivé à Montpellier, j’étais en train de travailler sur mon Solo Show et il est venu me filer un coup de main à mouler les CandyVinyl. Le feeling était là et on s’est dit que ça serait cool d’avoir des grosses sculptures. Et il a trop assuré, parce que c’est un taf de fou. Tous les soirs je passais le voir et on apportait des modifs sur la sculpture en plâtre. Une fois la sculpture terminée, il a réalisé un moule en silicone puis il en a fait des tirages en résine et fibre de verre. Après il ne me restait plus qu’à les peindre. »

Et le monsieur s’est même permis de créer la SupaMoney !

En plus de 15 ans, Supakitch a évidemment fait un paquet de choses, et énuméré ne serait-ce que les œuvres de ces deux dernières années serait trop long. On vous encourage donc vraiment, sincèrement, à voir un jour une de ses expos, parce qu’en live, tout est encore plus fou !

Portrait publié le 5 février 2010

Auteur : Julie Machin
Photos : Droits Réservés

supakitch.com metroplastique.com