
Dimitri Coste : « Je suis resté bloqué dans les années 90 »
Lorsque Vans te contacte pour designer ta propre paire, c'est le genre de collaboration qui ne se refuse pas. Lorsque Dimitri Coste, vans-a-holic de son état, accessoirement photographe/réalisateur, s'est vu proposer de bosser sur un modèle perso issu de la nouvelle collection OTW (pour Off The Wall), en compagnie de Cartoon, The Blackouts (aka Ako & Atiba Jefferson) et d'Eric Elms, la réponse a fusé.
Authentique rider issu de la première génération de voltigeurs parisiens, photo journaliste, reporter, Vans "made in US" addict, ce mec est un abécédaire à lui tout seul.
Nous nous sommes rendus dans son sanctuaire pour vérifier si la légende était vraie. On est pas déçu...
Street Tease : Première question ultra classique mais obligatoire. Tes premiers souvenirs de ride ?
Dimitri Coste : Un vieux Motobécane 12 pouces tout pourri que j'avais stické, je devais avoir 4/5 ans. Plus tard, je suivrai mon grand frère pour aller voir son gang, les "rades chikens". On traversait la ville pour aller retrouver des gars qui avaient genre 5 ans de plus que moi et qui faisaient tous des trucs assez balèzes.
Et la pratique régulière ?
A partir du moment ou j'ai eu mon premier bicross, un Sunn. A partir de là, on a fait que ça avec mon frangin, on était plus porté sur le flat. On trippait sur les photos des magazines, les équipements mais on faisait du sol, du freestyle.
Pour choper les magazines, c'était pas simple à l'époque ?
Pour moi c'était hyper simple car mon père était journaliste, rédac chef adjoint de Moto Verte, un magazine de moto tout-terrain, il couvrait les courses. Le premier truc qui m'a marqué c'est le motocross parce qu'il y avait Moto Verte à la maison. On avait tous les magazines. Je passais mes vacances à les feuilleter, j'avais 5 ans. C'est mon premier traumatisme esthétique. Les masques, les maillots, les gants, les stickers... Mon premier héros s'appelait Jean-Jacques Bruno, un pilote français.
Quand le bicross arrive en France, les Editions Larivière lancent Bicross Magazine. Un jour ils se retrouvent sans personnes car le rédac chef s'est barré. L'éditeur convoque mon père pour lui confier le poste en 1984. Pour nous c'était Noël !
Tu suivais ton père sur les courses ?
Non pas encore. Mais chaque année, il allait au salon d'Anaheim voir les nouveaux vélos et c'est grâce à ça que j'ai eu mes premières Vans très tôt, vers 6 piges. A Noël, on commandait avec mes frères, notre paire de Vans annuelle qu'on avait un mois après quand il rentrait du salon. Après tu regardes les mags, tu t'aperçois que tel pilote a tel matériel... Et là c'est parti !
Ce que j'ai vu dans le motocross, le BMX et le skate entre 6 et 10 piges a façonné mes goûts à jamais. Je suis resté bloquer à cette époque là. C'était le rêve californien, le soleil, j'ai jamais été branché par le foot ou le basket.
« Ce que j'ai vu dans le motocross, le BMX et le skate entre 6 et 10 piges a façonné mes goûts à jamais. Je suis resté bloqué à cette époque là. »
Tu te voyais faire une carrière ?
Je voulais être champion ! Je me disais que si je devenais champion de bicross, je deviendrai un grand champion de motocross. Sauf qu'on a jamais vraiment eu le droit de faire de la moto. On avait uniquement la permission de faire du bicross. J'étais le "petit" et je commençais à rentrer des tricks. Il y avait un peu de rivalité avec les plus grands, quand tu sautais en l'air les mecs te balançaient des cailloux. A cette époque, tu faisais du freestyle dans la rue avec tout un équipement.
Pour le skate - c'est arrivé en 1987 - il a fallu négocier (avec le daron ndlr), avec un deal à la clé. "Premier os pété, les skates vont au feu". Trois jours après, je me suis pété le doigt. On en rêvait mais on en avait jamais fait !
On partait en vacances en camping car, mon père bossait 40 week-ends par an pour couvrir les courses, il faisait texte et photos. Toute la famille y allait, c'était les vacances. J'avais le doigt violet mais fallait que je le cache sinon plus de skate... Je me suis finalement fait griller, on a décidé que le doigt c'était pas un os qui compte.
Du coup on a continué jusqu'à ce que mon frère se fracture le pied sur la rampe de Chatou... Opération, broches... Au même moment, la Mairie voulait plus payer les travaux de réparation sur la rampe, le VTT arrivait, et on a arrêté... J'ai continué occasionnellement pour reprendre plus tard.
Et les premières VHS ?
J'avais pas de magnétoscope jusqu'en 1988, on a directement maté les videos de skate mais j'ai jamais eu accès aux vidéos de BMX. Sauf les quelques trucs qui étaient retransmis sur la 3 à l'époque, au mini-journal présenté par Patrice Drevet.
Tu consacres encore beaucoup de temps à la ride ?
Malheureusement non. J'ai roulé assez sérieusement en mountain bike. J'ai fait quelques manches de championnat de France de descente parce qu'il y avait un feeling motocross. Tu te démarquais des mecs qui venaient vélo pur. Le style de pilotage était pas le même pour ceux qui venaient du bmx. J'avais l'impression de vivre ce truc de compet'. Après je me suis gravement niqué un poignet, 4 fractures d'un coup. Et je me suis mis au trial, j'ai participé à 2 saisons de championnat de France de trial. C'est lié à l'histoire familiale. Mon rep découvre le moutain bike en 1987 au salon d'Anaheim, devient ouf et fait des sujets dans Bicross Mag. Dans le même temps, il essaye de convaincre son éditeur de faire un mag de VTT mais celui-ci refuse.
Il finit par créer son propre mag indépendant, Vélo Vert. La rédaction était chez nous, dans le garage. Et il y avait personne pour couvrir le trial. Je me suis pété le poignet à 16 ans et je voulais faire du journalisme.
Pour moi, le trial c'était un truc de gay, les mecs étaient en fuseau... En fait j'ai trouvé ça mortel. J'ai retrouvé le côté street, tu sortais de chez toi, sur le parking du supermarché et tu pouvais rider, sans équipements, monter sur les bancs, les trottoirs... Après le trial, le dirt et le boardercross sont arrivés. Je me suis à piger pour le mag.
C'est ton premier contact avec le journalisme ?
J'avais 16 ans, je prenais le train pour aller dans les Alpes le vendredi soir, je rentrais dans le train du soir le dimanche pour arriver le lundi matin en cours.
Le premier mag pour lequel j’ai bossé officiellement, c’était XL, je devais avoir 16 ans. Je leur avait écris en leur disant : "Vous faites un magazine pour les jeunes mais je suis certain que vous avez tous 30 ans ! Par contre moi je suis jeune…"
Au bout de la troisième lettre, ils m’ont proposé de passer… J’ai squatté la rédaction, le rédac chef était un mec hyper caractériel, j’en ai bavé… Mais c’était cool car j’ai appris le métier, ils me faisaient refaire mes papiers en permanence.
Un jour je me pointe, il piquait une gueulante : "Dimitri, va faire les chroniques video !" Sauf que je sortais de cours à 18 heures et j’avais pas la possibilité d’aller voir les avant-premières, je venais en vélo à Issy-Les-Moulineaux pour chroniquer des films que j’avais pas vu ! C’est devenu ma rubrique. J’avais un boulot, je gagnais 1000 balles par mois pour une double page en classe de seconde, ce qui était énorme pour mon âge. Je me suis rendu compte à quel point c’était difficile d’écrire, je pouvais passer une semaine sur une feuille blanche et torcher le truc en 2 heures, dans l’urgence.
Et la photo ?
J’ai jamais vraiment décidé d’être photographe mais dès que j’ai eu la possibilité de me servir d’un appareil, mon père m’avait tout expliqué, le mercredi après midi, je me barrais à Paris avec un rouleau en poche pour découvrir la ville. Ce sont mes premières photos. A cette époque là, il y avait déjà des mecs comme Tofman, Alain Marty.
En parallèle, je commençais à shooter mon pote PH, qui était vraiment pas le meilleur skateur de la planète mais il avait un bandana Suicidal (Tendencies ndlr).
C'est à cette époque que tu commences à voyager et à traverser de plus en plus régulièrement l'Atlantique ?
J’ai continué à piger pour Vélo Vert. Je faisais les interviews des pro car je parlais anglais et les essais de matos, ce qui m’a permis de pas mal voyager. Tu pars 3 jours à Hawaï pour aller tester des fourches… Tu pédales pendant 3 jours avec 80 journalistes du monde entier.
A quel moment tu bascules dans la photo pour de bon ?
Vers la fin des années 90’, j’ai monté ma propre team de dirt et on roulait un peu plus sérieusement en mountain bike et en bmx. J’ai fait une vilaine chute qui m’a immobilisé pendant 11 mois. A un moment donné, il fallait choisir et je me suis concentré sur la photo. Je suis plus retourné sur un event de mountain bike depuis octobre 2000.
J’ai jamais rien programmé, toujours freestyle… Mais c’est grâce au mountain bike que j’ai remis un pied dans le skate, pour Arnette. Je faisais déjà des tofs au fisheye, des trucs un peu cool dans le mountain bike qui est quand même un truc de beauf, ça a toujours été le problème de cette discipline, son image…
Arnette sponsorisait un des meilleurs pilotes français en VTT, ils avaient besoin de photos de ce mec et je me suis retrouvé à couvrir des events de surf, de skate avec Stéphane Larence pour des mags comme Ride On. Je suis passé team manager moto et vélo à 20 piges, c’était un peu une imposture…
Peux-tu me parler de ta longue histoire d'amour avec Vans ? Tu as tout d'abord collaborer à la confection du book sur les 40 ans de la marque...
Dès mes premiers voyages aux US, j’ai commencé à collectionner les pompes qui me faisaient rêver quand j'étais gosse. Des modèles introuvables en France. C’est très lié à l’enfance, au fait que mon père qui voyageait régulièrement, ramenait des paires de ouf. En 2006, à l'approche des 40 ans de Vans, j’ai monté un projet de bouquin. Mon frère (Jérôme Coste, patron des ateliers Ruby) m’avait aidé à maquetter un chemin de fer de 20 pages. J'ai tenté de vendre mon book. Mais la personne qui occupait le poste de directeur marketing changeait tous les 6 mois. Pas facile dans ces conditions. Le seul mec qui était tout le temps cool avec moi était Steve Van Doren (fils du cofondateur de Vans, Paul Von Doren).
Finalement, Vans m'a proposé un chapitre dans Stories of sole. J'ai sélectionné mes 100 plus belles paires. Isolé dans ma maison, j’ai étalé toutes mes pompes dans mon salon, sachant que j’avais plus de 300 modèles made in US. Pendant 5 jours, j’ai shooté en mode autiste. Je me suis retrouvé avec une matière de ouf. Heureusement, mon pote Antoine Andoque, m'a filé un super coup de main.
Peut-on en savoir plus sur le contenu de ta collaboration avec Vans sur la série OTW ?
OTW pour Off The Wall, c’est une nouvelle collection lancée par Vans qui est pas forcément dédiée au skate, fondée sur ce qu’ils appellent sur l’"independant creative lifestyle".
Un jour un mec du marketing me cheke sur Facebook en me demandant de l’appeler au plus vite.
En 2 minutes, le mec me briefe au téléphone mais j’avais pas du tout mesuré l’ampleur du truc. Je reçois le contrat entre Noël et le jour de l’an et j’avais un mois pour pondre mon modèle. Nouveau problème, je reçois un fichier illustrator mais je sais pas m’en servir ! Mon frère est venu m’expliquer les bases et au bout d’un mois j’avais imaginé une centaine de versions.
J’ai rendu mes trucs à l’heure mais il y avait pas juste une paire, il y avait 20 planches. Elle est toujours pas finalisée. Elms non plus. Celle de Cartoon est déjà prête car le mec est surpro genre jours après c’est rendu. Il est hallucinant de professionnalisme.
Les frères Jefferson aussi, elle est super simple, ils se sont pas trop pris la tête.
Qu'est-ce que ça implique d'être ambassadeur de la marque ?
Dans le contrat, je leur dois 3 sessions photos, une interview et une chaussure par an. Les "signature series" vont toutes sortir entre janvier et le printemps 2011.
Ils essayent de mettre en avant nos boulots respectifs. Je vais exposer ce que je veux, il y a une vraie liberté. On essaye de bosser sur un projet commun, ce qui est pas évident. J’aimerai bien bosser sur une meule OTW et faire des courses avec. Ils veulent du lifestyle. Quand ils sont venus, je les ais pas emmené sur un photshoot, on est allé faire de la meule sur un terrain de pétanque et du skate dans le RER…
Je vais encore passer pour un branleur mais c’est cool…
Entretien publié le 12 novembre 2010
Auteur : @FrancoisChe
Photos : Mpy Was Here
Toutes les photos sont de MPY sauf la dernière © Dimitri Coste