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Spoek Mathambo : The Mshini Wam Interview

Spoek Mathambo, après le premier trip aux US, on l’a baptisé le Lil Wayne Sud-Africain. Des tracks enregistrés en one shot, des rimes écrites en 20mn, et un bon flow sale… Son côté nasty ressort à grand coup de mitraillette vocale, le rappeur de Sweat.X s’est affirmé, a pris en maturité et garde toujours la même pêche dingue sur scène.
Mais Spoek c’est aussi un nouveau projet, son premier album solo, écrit et produit avant tout pour du live. Mshini Wam (ma mitraillette ndlr) c’est un album de grand garçon, pas bien sous tout rapport, qui balaye quasiment tout le (bon) répertoire de la musique électronique et pour lequel il s’est nourri d’inspirations qu’on retrouve dans ses playlists, de Black Sabbath à la house Sud-Africaine, en passant par le grime et UGK. Son pays il l’aime, son pays fait parti de sa musique, mais on est loin d’un simple projet où il a juste rajouté des sons qui rappellent d’où il vient.
On revient des US avec MPY où on a suivi sa dernière tournée live, avec tout le groupe cette fois (JakobSnake (drummer), Nic (guitariste) et Richard The Third (electronics), c’est l’occasion de sortir l’interview de Mr. Spoek.

Street Tease : Tu as donc commencé à rapper vers 9-10 ans, je visualise assez bien Lil' Spoek en mode imitation de rappeurs ricains… C’est quel album qui t’a plongé là dedans ?
Spoek Mathambo : C’est la BOF d'Above The Rim, un film sur le basket avec Tupac, et beaucoup de Snoop de 93-94. Les photos de nous gamins sont assez thugstyle ! A jouer et shooter dans le jardin avec des fausses mitraillettes.
C’était quoi la bande-son en Afrique du Sud à ce moment là ?
La bubblegum, c’est comme ça qu’ils appelaient la pop music. Beaucoup de synth pop, de trucs disco. Mais quand j’étais jeune, la plupart des radios jouaient de la musique US. 93 a été aussi une période importante pour le début de la house en Afrique du Sud. Des clubs comme Razzmatazz et Yeoville, une place de Johannesburg, ont eu une grosse renaissance où les kids noirs et blancs allaient en rave ensemble. Non, pas rave… Qui faisait la fête ensemble quoi… Pas la parade fluorescente, c’était plutôt Black Label beer et Soul2Soul.
Mais Youtube, c’est le mieux pour checker des anciens sons sud-africains. Jam à la fin des années 80 :

Brenda Fassie, c’était le top de la pop star, son groupe c’était Brenda and The Big Dudes. Elle est morte il y a quelques années d’une overdose de coke. Son fils est maintenant un des plus gros producteurs hip-hop et crunk d’Afrique du Sud.
Mais il y avait aussi le reggae et le punk en expansion à Spring, le hip-hop dans d’autres spots d’Afrique du Sud, ça c’est du hip-hop old school sud-africain.

Et justement le hip-hop à cette époque ?
Il y avait une grosse scène à Cape Town dans les années 80. Dans les 90s, le hip-hop s’est renforcé à Johannesburg et ailleurs. Mais ce que tu dois te rappeler c’est que des films comme Beatstreet, Wild Style, Krush Groove, ont trouvé leur chemin en Afrique du Sud, même s’ils étaient interdits. Donc, il y a une grosse histoire du Hip-Hop, que ça soit au niveau du breakdance, du graffiti, du scratch ou des MCs. Les groupes old school dont il faut se souvenir sont Prophets of da City et Black Noise. Mais il y a eu une sale mode dans les années 80 où pas seulement les rappers rappaient, mais les chanteurs pop l’utilisaient juste pour avoir au moins un rap sur leur album...
Genre Prophets of da City et Black Noise :
C’est quoi le premier rap que t’as enregistré ?
Erm... Le premier c’était avec mon voisin, sur un petit enregistreur à cassette. On jouait le cd et on rappait dessus. Puis un polonais est arrivé à mon école, Paul Slotvinsky, et il avait le next level en matos, pas des bons trucs, mais au moins mieux que notre enregistreur ! Haha On rappait dans nos headphones… Puis j’ai rencontré mon pote Sibot, qui était déjà un DJ assez connu, il faisait parti du meilleur groupe de hip-hop plus ou moins. Il m’a enregistré un peu plus professionnellement et je ne crois pas que j‘ai du rapper dans une chaussette chez Simon !
Mais du coup, avant Sweat.X et Playdoe tu as fait d’autres projets ou c’était ça le début de Spoek ?
J’ai eu le groupe Ramahutra avec un gars, Ziyad, le plus cool des mofo ! J’ai aussi fait parti d’un groupe qui s’appelait Satan's Angry Black Fist (meilleur nom de groupe ndlr), un autre groupe de rap. On faisait des trucs weird à l’époque, le pire le mieux ! Puis j’ai rejoins The Fantastik Kill avec le rappeur de Die Antwoord (Watkin Tudor Jones). J’ai fait pas mal de tracks sur cet album. Avant ça, il bossait avec Simon (Playdoe) and Markus (Sweat.X). Mais le groupe a splitté. J’étais déjà pote avec Simon, puis Markus, et on a commencé Sweat.X et Playdoe. Donc non, ce n’était pas mes premiers groupes, haha ! Je ne te parle même pas des groupes dans lesquels j’étais au lycée. Parce que… Whatever...
Pourquoi quoi ?!!!
Je suis allé dans une école anglaise de garçons, hyper stricte et beauf, avec une culture horrible. Je pense que le hip-hop c’était la bande son de ma rébellion. A ce moment là, le kwaito et la house sud-africaine étaient big, mais moi j’étais jeune et scotché au rêve yankee.
Une rébellion de jeune à base de lyrics contre la société ?
Erm... ouais des fois. On essayait d’être sérieux, mais nous étions absurdes ! On s’énervait, mais trop cyniques pour en avoir vraiment quelque chose à foutre. Donc ouais, non, on n’était pas en colère. J’aimais énormément Ice Cube et Lynch Mob, et leur manière de sonner hyper vener… J’ai essayé et essayé, mais ça n’a jamais marché !

"Le hip-hop était la bande son de ma rébellion"

Ouais mais Satan’s Angry Black Fist, c’est plutôt vener comme nom !
Ouais, haha ! Mais seulement 5 personnes connaissaient le nom, t’es la 6ème !
Hahahaha ok ! Je pensais que c’était un vrai projet de lycée, genre school leader and shit !
Non… C’était en fait pendant mon école de médecine. Je faisais du rap super nerdy… Nerdcore !
Mais il s’est passé quoi avec la tonne de projets que t’as fait ? T’as enregistré 3 tracks pour chacun avant de passer au suivant ?
En fait, j’ai arrêté l’école de médecine parce que je pensais pouvoir devenir un rappeur professionnel. J’ai eu quelques bookings et je me suis un peu enflammé. C’était en 2005, J’étais pas Prêt !
J’ai toujours fait énormément de tracks. Si tu regardes tous les projets, ils ont tous des albums en train de dormir sur des ordis à droite à gauche, beaucoup de choses ont été faites. D’une façon ou d’une autre, j’étais trop occupé à bosser dans un resto indien et à jouer au Casanova après avoir arrêté mes études pour me concentrer à fond dans la musique. Je pense que la première vraie relation professionnelle que j’ai eu dans la musique c’était avec Markus, ensuite j’ai pu acheter mon propre matos et commencer à enregistrer dès que je pouvais… et finir complètement les tracks surtout.
On t’as donc principalement connu via Sweat.X & Playdoe, il y a quelques années maintenant, puis grâce à tous les featurings que tu as fait, tu as été plutôt actif dans la scène de la musique club au sens large et non péjoratif, qu’est-ce qui t’as amené à bosser ton premier album dans une ambiance beaucoup plus dark ?
Hmm...plus dark ?! C’est assez simple. C’est l’ambiance de beaucoup de musiques que j’écoute et c’est aussi un état d’esprit dans lequel je me retrouve, ce côté dark & emo ! Hahaha ! Mais ouais, j’ai aussi quasiment dirigé toute la direction artistique de l’album, je n’ai pas eu de compromis à faire sur quoi que ce soit, donc j’ai pu faire exactement ce que je voulais.
Oh gawd... mes goûts musicaux sont plutôt schizophréniques donc je construis ma musique de la même manière. Je me demande si ça ne va pas être la raison de ma chute.
Mais comment arrives-tu à séparer chaque projet dans ta tête ? Car ils ont tous une approche et des influences différentes…
En fait, chaque groupe a été développé en fonction des relations avec les personnes avec qui je bosse. Ce sont ces relations qui déterminent la musique la plupart du temps. Playdoe c’est totalement l’image de comment Simon et moi travaillons. Sweat.X, c’est l’image de ma relation avec Markus… A base de sales blagues de cul, une vraie relation de mecs tu vois, et de ragots !
Mshini wam c’est différent parce que c’est moi qui dirige principalement la composition, la prod, les arrangements. Cette implication veut dire que tout ce que vont dire les gens, ne va pas forcément marcher, mais je peux toujours essayer et voir si ça fonctionne. Je n’ai jamais eu l’occasion d’être aussi impliqué avant ça. Richard & Jake sont vraiment bons pour travailler avec pour ce genre de projets, mais on apprend encore à se connaître. Il y a des groupes qui ont eu besoin d’une décennie pour vraiment se connaître musicalement. Je pense que Simon et moi, on se connaît vraiment très bien sur ce point là, on peut le voir lors des shows pour Playdoe.
Du coup, vas y présentes-nous le projet Mshini Wam ?
Pour moi, Mshini Wam c’est plusieurs choses... Le nom de l’album évidemment, c’est aussi le noyau représenté par Richard The Third et moi même, ce qu’on a en fait commencé sous le nom de Moleke Mbembe. De là, Mshini Wam a grossi. On a rencontré Jake (la batteur ndlr), Yolanda et Avuyile (back singers ndlr) avec qui on a beaucoup bossé en studio. Mais plus que ça, Mshini Wam c’est ma vision pour un projet studio incroyable et un live show qui fait exploser ton cerveau. Dans mon rêve, c’est un show avec une centaine de personnes impliquées sur scène… Epic shit !
Genre des nains qui courent partout, des violons, des femmes à barbes, des chiens, de la harpe…
Nooooooooooon ! Juste la meilleure soirée, mais qui se passe sur scène… Mais oui des nains en fait. Je viens de finir le livre de 800 pages sur Michael Jackson. Le mec avait David Copperfield avec lui, qui faisait disparaître des trucs ! Moi ça ne me dérangerait pas de disparaître.
(Je vais pas remettre des ‘hahaha’, mais me suis tapée des barres de rire durant tout l’interview ndlr) Sur ton premier EP, tu as cette track ‘Gwababa’, je me demandais ce qu’elle signifiait vu que la moitié du morceau est en zulu ?
Quand l’une des filles rappe, elle challenge en fait l’autre fille pour une bagarre, c’est genre une hymne aux catfights. Dans mes parts je parle plus ou moins de mon gang, le dernier en ville, genre 'Clash City Rockers'... C’est la menace Mshini Wam envers le monde je pense… J’ai joué l’album à une amie, et elle m’a dit : "Damn ! Ton album fait plutôt peur mec !"
Haha ! Mais si c’est principalement au sujet de bagarres de filles, je suis assez triste qu’il n’y en ait pas dans le clip.
Ouais la vidéo était super basique, c’était plutôt un portrait du groupe, pas de concept.
Tu vois, ton album c’est un album voodoo qui fout la trouille avec des gars sud-africains qui portent des trucs étranges…
Ouais, j’aurais plus peur si j’avais fait une vidéo R’n’B, genre claquettes sous la pluie et torse nu. Mais j’essaie très dur d’être un dur, mes pensées sont vraiment sérieuses, mais je suis tellement un mec maladroit. Donc tout devient risible, et débile et un peu naïf. Même quand je fais une track de kwaito, ça ne sera jamais vraiment kwaito kwaito, c’est juste Spoek qui fait du kwaito. C’est la même chose quand je rappe. Il y a toujours ce truc bizarre et nerd dans ce que je fais.
Je sais qu’il y a pas mal de bonnes choses qui arrivent pour toi dans les prochains mois, après avoir fait la cover de The Fader aux US, pas mal de featurings, des grosses vidéos, dis moi tout…
J’ai surtout enfin mon groupe, au complet, Mshini Wam, avec un vrai bon son. On vient de faire notre premier tour US ensemble, après avoir fait celui de septembre tout seul, et on a 2 shows en Europe. Je suis assez vexé de ne pas jouer plus en Europe. Je viens juste de fnir aussi la vidéo pour Control, avec Pieter Hugo, alors je suis en train de faire de la place sur les étagères pour les 10’000 awards qu’on va recevoir pour celle là ! Hahahaha ! Le shooting était vraiment malade, la vidéo va être pareille. Je veux presser des vinyles en édition limitée avec les photos de Pieter.
Ouais j’ai entendu les gossips du tournage, du drama avec des partisans de l’ANC, mais il y aussi d’autres histoires avec les prostituées pour la vidéo de Don’t Mean to Be Rude… Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu te dédies définitivement à la vidéo ghetto ?
Hahaha ! Ouais ! On a fait pas mal de gros trucs dans les quartiers ghettos, mais pour ma prochaine vidéo, je vais sortir de là. Cette vidéo avec Pieter Hugo ferme le chapitre avec un gros Boom !
Le tournage de la vidéo pour Don't Mean To Be Rude a fini par une altercation physique avec la prostituée, qui était fat et grande, et qui m’aurait définitivement mis au tapis !
J’aime beaucoup trop la folie et les scandales de la rue en Afrique du Sud. Ce sont toutes ces aventures dingues qui font l’Afrique du Sud.
Du coup, les plans pour 2011 ?
Je travaille en ce moment sur une compilation et un documentaire sur la house sud-africaine. Il y a un EP Spoek Mathambo avec mon groupe qui arrive pour Mai sur l’un des plus gros des labels indépendants. Des festivals aussi. Et je bosse sur un projet rap avec Cobra Krames & Cerebral Vortex. Le prochain album "Spoek Mathambo" devrait sortir début 2012. Entre deux, je vais essayer de prendre des vacances pour préparer des opérations secrètes.

Article publié le 8 décembre 2010.

Auteur : Julie Machin
Photos : Mpy Was Here

spoekmathambo.com