
Stupeflip : « Allez tous vous faire foutre »
Après un procès perdu contre BMG, un disque bidon et peu d’inspiration, Stupeflip nous revient avec un troisième album. Une chose est sûre, liberté retrouvée oblige, la troisième ère du Stup a commencé : des chansons percutantes, un peu moins casse gueules, qui font rire mais sonnent souvent juste.
Le nom de ce nouvel album ? The Hypnoflip Invasion, et c’est dans une menuiserie que nous avons interviewé King Ju. Entre deux coups de marteaux, dans un décor un peu fou, nous avons posé quelques questions sans concession au leader du Crou. A visage découvert, il nous a parlé de de masques, de Grand Corps Malade et de Benjamin Biolay…
Street Tease : je sais que tu racontes des conneries à chaque interview, alors on va commencer soft : heureux d’être là pour présenter ton nouvel album ?
King Ju :
Ben, écoute, à priori, oui (Rires). Les conneries c’est du passé.
J’ai entendu que tu disais depuis le tout début de l’aventure Stupeflip, qu’il y aurait un troisième disque. C’était vraiment une évidence pour toi ?
Carrément. Un peu comme la Guerre des Etoiles, tu vois : le retour du Jedi de Stupeflip !
Même après Stup religion ? Ce fut quand même un énorme flop. Tu ne t’ai jamais dit "on arrête" ?
Non jamais. Stup Religion n’a pas marché, il n’y a pas eu de promo et je me suis bien fait chier sur le disque, donc bon, les conditions idéales n’étaient pas vraiment réunies. C’est tout.
« Les conneries, c’est du passé »
Aujourd’hui, vous travaillez en autoproduction. Comment tu gères ça ?
Plutôt bien. Mais disons que je bosse beaucoup plus qu’avant. Quand t’es tout seul, il y a forcément plus de trucs à faire, c’est un boulot de dingue. Et puis, on ne fait pas juste semblant d’être indépendant, on l’est vraiment. Heureusement qu’il y a Michel Plassier, qui était déjà sur les deux premiers disques, et qui a beaucoup plus d’amis et d’influence que moi. Moi je suis tout seul, je ne vois personne. (Rires)
Sauf les jours d’interview !
Ouais ! Sauf que les gars en interview, ils me disent tous : « c’est génial ce que vous faites ». Cool, mais donnez-moi du pognon bordel ! Je veux de l’argent, je veux vivre. J’en ai rien à foutre que vous trouvez ça génial (Rires).
S’il en reste encore qui ne trouvent pas ça génial, c’est qu’ils ne connaissent pas le Crou et son histoire. Peux-tu le leur présenter en quelques mots ?
Whouaw. Le Crou a été formé en 1972. Mais, je ne peux même pas le décrire ni l’expliquer car on ne sait pas vraiment ce que c’est, ni qui est le chef dans l’histoire. Ça me fait penser à la série Le Prisonnier, on ne sait pas qui est le numéro 1 du Crou.
Pas même toi ?
Même pas moi. T’es fou ! Je suis juste un transmetteur. Je suis une courroie. (Rires).
Le Crou, tes conneries, les paroles… Est-ce qu’il y a une limite au ridicule chez Stupeflip ?
Écoute, pour moi, l’humour en musique est très difficile à manier, parce que tout de suite, t’es catalogué. Si c’est ridicule et que tu l’assumes, il faut qu’il y ait de l’esprit. Ça peut être très ridicule, s’il n’y pas cet esprit c’est juste ridicule. Putain, tu comprends ce que j’ai voulu dire ou pas ? (Rires).
Le genre Stupeflip, c’est quoi ? Tantôt rap, tantôt chanson, tantôt slam ?
Slam ??? (Il imite la voix de Grand Corps malade). Tu sais, je pensais, à un truc, l’autre fois, sérieux, faut enregistrer Grand Corps Malade pendant qu’il fait des interviews, je suis sûr qu’il répond aux questions en slamant. Tu l’enregistres, ça vaut de l’or. Demande-lui une interview, t’auras son prochain disque en live ! (Rires). Bref, c’est vrai qu’on slame parfois, t’as raison. On scande, on prêche.
Comment tu définirais le genre ?
Je n’en sais rien. Si tu veux vraiment le classer, ce serait plutôt, entre du hip hop bizarre, comme celui qui existait entre 1989 et 1994 en France et, un morceau qui s’appelle Amoureux Solitaires de Lio. C’est de la fraise Tagada, avec des influences rap. Inclassable quoi. Un peu comme si toi, tu décidais de monter un groupe et d’associer du métal à de la
rumba. Tu vois ?
Le pire, c’est que c’est gratuit comme choix, ça pourrait être n’importe quoi d’autre. On a juste mis dans Stupeflip les choses qu’on aimait. Je me suis juste demandé ce qui me ferait triper, ce qui me plairait d’entendre et le résultat c’est Stupeflip ! Ça n’a rien à voir avec de l’ego, c’est juste des choses que j’aime, à petites doses. Je suis trop pudique pour que tout tourne autour de moi.
Et tu composes de la musique que tu aimerais entendre chez les autres !
Exactement ! Je suis un vrai fan de musique, j’ai acheté des millions de disques - surtout du rap - et je sais faire des choix, des tris, ce que j’aime, n’aime pas, donc je m’arrange pour produire des morceaux qui correspondent vraiment à mes goûts personnels.
C’est drôle, parce que c’est un univers intime, quasi fermé, mais qui parle énormément aux gens…
Ouais, c’est un projet autistique. Il paraitrait que je suis autiste léger - ne te moque pas. J’exprime en musique tout ce que je n’arrive pas à dire. C’est ça la magie du truc artistique. Imagine, en rentrant chez toi, tu bouffes un bol de céréales et tu décides de le raconter et de le mettre sur un disque. Si c’est fait sincèrement, tu vas être dans le réel et ça va parler aux gens. C’est magique ! Mais personne ne fait ça ! Stupeflip, c’est de la science-fiction réelle. C’est super paradoxal. Même le fait que je sois ici, en train de parler pour faire la promo de mon disque, c’est paradoxal. (Rires).
Jusque dans le thème des morceaux, d’ailleurs : quand tu parles de consommation, c’est quand même super paradoxal non ?
Ouais ! Et en plus, ce morceau est le seul de l’album qui soit vraiment proche de moi. La consommation, il n’y a que ça ! T’es d’accord avec moi, non ? Je veux être dans le coup moi aussi. Si tu ne consommes pas t’es rien. On est tous victimes de ça, tu ne peux pas y échapper. Le problème c’est je n’ai pas d’argent (Rires). Benjamin Biolay parle du plaisir de faire "chauffer la carte bleue". J’adore ce type ! Même si, des fois, il devrait articuler plus.
Comment tu envisages le live ? Tu vas articuler, justement, en insultant le public, comme tu le faisais sur les précédentes tournées ?
Peut-être que non, je ne le ferais pas cette fois-ci. Sauf qu’à chasser le naturel, il revient de suite au galop (il crie : "Bande d’enculés !" Rires). Mais si, c’est des jeunes, il y aura peut-être du love entre nous. Tu sais, à l’époque, on faisait peur, on était masqué, il n’y avait pas un seul fan qui venait nous voir après le concert, ils avaient peur et c’est normal, moi-même je n’y serais pas allé (Rires).
Pourquoi ce choix d’être masqué ?
Écoute, pour répondre à ta question, je crois qu’il faut prendre le problème à l’envers. C’est-à dire que je me demande comment font les gens qui ne sont pas masqués. Ils montrent leur gueule dans les médias, donnent leur avis, et puis après rentrent chez eux. C’est flippant. Ils ne se protègent pas. L’important c’est juste la musique. C’est comme Daft Punk tu vois, personne n’en a rien à foutre de la gueule qu’ils ont, ils font juste de la musique cool, c’est le principal. Je te parle comme si on était potes, ça ne te dérange pas hein ?
« je me demande comment font les gens qui ne sont pas masqués. »
Je suis ton pote !
Non mais c’est cool tu vois, votre truc, là Street Tease et tout. Vous êtes cool. En 2003, on faisait des promos, il y avait zéro matière, on ne parlait pas, les journalistes gueulaient, c’était surréaliste.
Tu parlais tout à l’heure de projet autistique. « Prendre des petits bouts de trucs et puis les assembler ensemble ». C’est super autistique comme phrase !
Tu sais, la musique c’est comme la fabrication de meubles, c’est un truc d’artisan, et moi je prends de petits bouts de sons, je les assemble et à la fin ça fait un album. Ce n’est pas autistique, c’est philosophique ! (Rires).
En 2007, tu as collaboré avec Jean-Charles de Castelbajac sur une rétrospective. Tu peux-nous raconter un peu ? C’est assez dingue comme truc…
Carrément. En fait, j’ai rencontré Jacno, chez notre manager. Il a adoré mon t-shirt Chanter l’Amour (Rires). Moi, j’étais un peu en galère à l’époque, et c’est lui qui as dit à son pote, Jean-Charles : "ce mec là il est doué", et je pense que Castelbajac m’a contacté, sans même avoir pris le temps d’écouter ce que je faisais (Rires). Non, je suis salaud en disant cela. Il est super fan de musique ce mec-là. J’ai fait 15 sons pour sa rétrospective. C’était juste dingue. Et ce qui était encore plus dingue, c’est que d’un côté je côtoyais le monde la mode, des paillettes, et de l’autre je vivais grâce au RMI/RSA et j’avais affaire à une fonctionnaire zélé qui me mettait toutes les semaines sous le nez la circulaire Borloo-Sarkozy en m’obligeant à travailler. J’ai tenu 4 ans en tant que graphiste indépendant, et puis j‘ai démarché des agences mais personne n’a voulu de moi. C’est ça l’histoire de Stupeflip. Sans ça, je ne serais pas là, à parler. Sérieux. Je serais au boulot, en train de travailler (Rires).
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Allez tous vous faire foutre !
Entretien publié le 13 juin 2011
Auteur : Thomas Carrié
Photos : Mpy Was Here