
Seth Gueko : « Les flics me traquent sur Facebook »
Seth Gueko est un équilibriste. Il se promène sur le fil qui sépare le bad boy du lover, le rap caillera du rap débile, le punk du rap, la Thaïlande de la France. Un docteur Déconne et mister Gouaille brandissant le drapeau de l’humour et du second degré à la manière des titis parisiens qui l’inspirent.
Il est également celui qui s’auto-proclame fils de Jacques Mes’. Comme l'ultime révérence du fils au paternel. L’interview a lieu à deux pas de l’endroit où est tombé le "père", boulevard Ornano.
Si Merisne revendiquait la seconde chance, le Gueko l’évoque en parlant du pays du sourire, la Thaïlande.
De sa caravane, il a redoré son blason. Dans son nouvel album, Michto, il s'affirme en tant que punk-rappeur, à la fois sensible et narvalo, gentleman et voyou.
Il entre dans la pièce, nous serre la main, s’assoit. Rigolard, il jette un œil sur mon téléphone, qui fait office de dictaphone : "Ah ouais avec le black-B et tout." Le temps de lui expliquer nos précédentes péripéties à ce sujet, l’interview démarre.
Seth Gueko : Quand je suis sur le net, je suis sur mon Facebook. D’ailleurs les flics me traquent sur Facebook. Ils font leurs enquêtes.
Street Tease : Pourquoi avoir choisi Michto comme titre d’album ?
Je passe beaucoup de temps sur Facebook. Pour moi c’est une manière de connaître mon public de province. Quand je postais un commentaire ou une punchline pour faire réagir les gens, je me suis rendu compte que c’était le mot le plus récurrent. Ils sont géniaux, ils essayent de parler mon langage et m’ont trouvé le nom. C'est de l'argot gitan. Et Michto pour faire parler les gens en javanais. Les gens qui me connaissent n’ont pas besoin de se le faire expliquer.
Après il y a un côté ludique dans le fait d’apprendre des nouveaux mots. J’ai passé toute ma vie derrière un micro, tout rouge maintenant j’ai envie de défendre l’album, l’univers. J’ai fait écouter mes musiques à des filles qui ne parlent pas ma langue et je me suis demandé comment on peut faire aimer une musique à des gens qui ne la comprennent pas. Du coup j’ai essayé de rebosser tout ça et ça donne cet album, Michto.
Michto a donc été conçu dans le but de t’adresser à plus de gens ?
Bien sûr. J’ai envie d’immortaliser mes conneries. La formule reste la même mais j’ai arrondi les bords de la table.
Quel public vises-tu finalement ?
Tout le monde. Toutes générations confondues. Le mot d’ordre c’est l’humour, le divertissement et le second degré. L’idée de se dire : "Viens on kiffe". Je suis vraiment à la recherche de la reconnaissance plutôt que de vendre des albums. Ce sont des filles entre 14 et 18 ans qui achètent mes albums. Je suis content quand une trentenaire me dit qu’elle connaît l’univers, qu’on a les mêmes "ref". Elle s’approprie les choses, cela me touche.
« Les flics me traquent sur Facebook »
Le morceau Patate de Forain allait à l’inverse de cela en s’adressant à un public très masculin, très banlieue.
Oui mais au final, il ouvre des perspectives. Les gens se sont demandé ce qu’était une patate de forain. J’ai dit ça parce qu’à côté de chez moi, il y avait une fête foraine, la foire Saint Martin. On attendait ça toute l’année. C’était le seul moment où il y avait de la vie. Pour y aller, on passait devant le camp de gitans. Comme par hasard.
En fait les gens ont kiffé Patate de Forain, alors que c’est juste un mot mais c’était inédit. Et je me suis dit que s’ils aimaient ça, je pouvais le faire, c’était un truc que je connaissais par cœur. C’est pour ça que pour l’album d’après j’ai mis tout ça en image : La machine à coups de poings, la barbapapa… C’est un univers que j’ai aimé quand je regardais les clips de la Mano Negra, des Bérus qui se déguisaient en clowns qui pleurent… J’adore tout ça.
C’est un album qui paraît beaucoup plus calme comparé aux précédents même s’il y a toujours autant de choses qui font que c’est l’album de Seth Gueko.
Oui j’ai du mettre un peu d’eau dans mon vin. Il y a toujours autant de punchlines, de formules. C’est devenu essentiel. En écrire c’est ce qui me plait. Cela reste du rap inconscient. Ce n’est pas l’album de la maturité mais celui de l’immaturité construit avec un côté plus mûr.
Il y a moins d’invités sur cet album. Pourquoi ce choix ?
Là, le but était d’exporter la musique. Du coup je me suis dit qu’il fallait que je polisse un peu ce côté agressif des anciens albums. J’accroche l’oreille, je suis un peu agressif et je crie. Cela peut être lourd sur 19 morceaux.
Ensuite j’ai un petit problème, peu de filles écoutent et aiment ce que je fais. Pourtant je suis un séducteur, les filles m’aiment bien, j’ai pas de problèmes avec ça. Avec ma musique, c’est comme si je mettais des barrières autour de moi. Les filles doivent se dire que j’ai une armure et un cœur tout mou. Elles ont bien raison.
Je me suis demandé: pourquoi les filles qui me trouvent marrant dans la vie ne comprennent pas ma musique ? Faut comprendre que quand je dis que "je mets des capotes goût Whiskas pour les chattes difficiles", c’est du second degré. C’est une manière de dire "je t’aime". C’est juste une punchline.
Seth Gueko me demande si j’ai les oreilles chastes. Je lui réponds que non et renchérit sur le fait qu’il ne faut pas avec la musique qu’il fait. Il esquisse un "Voilà" de circonstance, avec le sourire.
C’est pas ce que j’ai fait de plus vulgaire. Doc Gynéco et Stomy Bugsy avaient cette fibre là du bad boy lover.
Tu révèles cette facette de ta personnalité dans un morceau comme Sexationnal ?
C’est mon titre préféré. Moi qui ai été bercé par Ma salope à moi de Doc Gynéco, aborder le cul suggéré. Je suis hardcore sur tout l’album. C’est plus poétique que ce que je peux dire en général. Y a le mot love. C’est Lollipop à la française. C’est du Sébastien Tellier et du Doc Gynéco. Tu vois quand je suis allé en prison, le seul album que j’ai voulu, c’est Première Consultation. Je me suis fait plaisir sur ce morceau.
Tu dis d’ailleurs que tu as envie de baiser la main d’une princesse dans ce morceau…
J’aime bien la séduction alors je me suis dit qu’il fallait que je le mette en avant. Ce que j’ai essayé de faire avec Sexationnel. On va voir si ca va marcher. Je vois de plus en plus de filles qui s’additionnent à mon Facebook, ça me fait plaisir. Tu vois le tatouage sur mes mains, SETH GUEX, anagramme de ces deux mots là, fait THUG SEX. Voilà. D’ailleurs je vais me le tatouer sur le pubis. C’est moi, je te fais l’amour comme un voyou. Le gangster lover, c’est ca. Même si j’ai quand même besoin d’envoyer du Tapis Moquette. Même si je suis détendu, je pète pas le premier soir avec une nana. Tu vois ou pas ? Je me suis mis en mode Gentleman.
« Même si je suis détendu, je pète pas le premier soir avec une nana. Je suis en mode gentleman »
On le sent dans le morceau Toucher le Ciel avec la Fouine et Ocean Drive
Oui, mais attention, c’est plus light dans la forme mais pas dans la consistance. Je parle avec des mots, il faut un décodeur, je pose comme un rocker. Du coup j’ai ralenti le BPM de mes instrus. La violence est artistique. Oui, je viens d’un univers violent et je le retranscris. Mais il y a plus violent, là c’est de l’humour noir. Il faut connaître.
Le double clip de Sexationnel et Bad Cowboy sorti cette semaine est tourné en Thaïlande. Tu es parti tourner le clip là-bas ?
J’habite là-bas la moitié de l’année. Pour ce clip je me suis dit que j’allais demander à quelqu’un qui avait une caméra assez propre et faire partager mon amour de la Thaïlande sans montrer les palmiers et Big Buddha. Le clip s’est tourné là ou je vivais. Dans ma piscine, avec ma bouteille de champagne, mes copines… Le clip n’est pas scénarisé. On a essayé de le faire proprement.
A la base, je voulais faire ça comme le clip de Snoop, Sexual Eruption. Mais j’ai trouvé mieux : Franck Michael, tu vois ? Le faux mec pour le troisième âge qui fait des concerts avec un pauvre foulard… Je voulais faire un truc à la Chateauvallon. Un vieux balcon, pleins de vieilles et moi leur chantant Sexationnel comme ca au micro, comme un vieux crooner…
On imagine que tu as travaillé ton album, là-bas ?
Oui j’ai écris là-bas. Loin de tout, ca m’a inspiré. J’étais dans une période où je n’avais plus envie de faire du rap. Et puis en y réfléchissant bien, ça m’a fait me remettre au travail. Ce qui est bien en Thaïlande, c’est la seconde chance. Pour tout.
Parle nous de Bad Cowboy, un morceau très sombre…
J’aime le côté glauque des ruelles dans Thaïlande, avec des culs de jatte… Ce que j’avais fait dans le clip de Cabochard. Je veux montrer et parler des sales gueules que je vois tous les jours. J’ai fait un clip en deux prises, en marchant dans la rue. Je mens pas sur tout ça. C’est place de Clichy en plus propre et ensoleillé à des milliers de kilomètres d’ici. Tout se règle avec l’argent. L’argent est roi. Tu peux corrompre la police, le rapport avec eux est différent. Ici tout le monde est anti-flics tandis que là-bas, ce sont des potes. En réalité, je viens faire de l’argent à Paris et je vais enrichir l’économie thaïlandaise.
D’ailleurs Toucher le Ciel résonne étrangement en ce moment. Tu y parles de tsunami, d’Haïti…
Toucher le fiel. Non je rigole, c’est une blague. Plus sérieusement, oui, pour parler de sujets d’actualité. Je suis pas un débile mental qui débarque de sa caravane. D’ailleurs je suis borderline et c’est pas le meilleur moment, parce que je dis "j’arrive avec un tsunami de punchlines". Mais Salam au peuple japonais.
Tu te sens concerné par tout cela ?
Quand tu vois des gens qui ont tout perdu alors qu’on me demande combien j’ai fait de mise en place d’albums… Je me dis qu’il y a vraiment des problèmes de riches et des problèmes de pauvres. Je me dis qu’on se plaint tout le temps. Il faut se dire qu’on vit malgré tout dans un monde super bien. On est des chanceux. Quand je suis devant Haïti, j’ai du mal à me dire qu’on a souffert. Dans le rap on se plaint toujours, mais là… Il faut arrêter de chialer sur les violons.
On sait que tu apprécies beaucoup Audiard. Ton nom fait référence au film de Robert Rodriguez, Une Nuit en Enfer. Le cinéma est il une source d’inspiration ?
Oui. Beaucoup. C’est une culture des grands frères surtout. Je suis le dernier de ma famille, et j’ai été bercé par les morceaux de punk, la marginalité, une manière de parler différente, ce que j’essaye de faire avec l’argot gitan.
Je m’inspire des années 80 : films d’horreur, Béruriers Noirs, Ludwig von 88, La Mano. J’écoutais ça à huit ans. Quand le mouvement rock alternatif a bifurqué, c’est passé au rap. Mon rapport avec Audiard (il me dit que je l’ai emmené loin, à la Lucchini) c’est que j’aime les dialogues de films. Il faut faire différent des autres. Je m’en inspire pour apporter une manière différente de dire les choses. C’est comme si j’avais ingurgité pleins de films, et que j’essayais de recracher toutes ces références en un projet. Je construis ma musique de la même façon.
C’est une direction que tu as envie de prendre, le cinéma ?
On m’a proposé des petits rôles dans le cinéma. Quand on me donnait des dialogues, je me réaccaparais tout. Je vexais les réalisateurs, parfois. Ils trouvaient que je mettais trop de choses dans ces interprétations. Ils ont un égo sur-dimensionné, les mecs. Mais c’est vers ça que je me dirige à travers le rap, collaborer à l’écriture. Pour l’interprétation, autant faire le personnage que je sais faire le mieux : le gitan, Dédé la débrouille, le yougo, l’albanais, un tenancier de bar à putes…
Un personnage populaire finalement…
C’est le mot d’ordre. Je n’ai pas peur du ridicule. Quand je me mets en scène dans une piscine avec des filles siliconées, je sais que ca va faire jaser. Mais j’aime bien, il faut faire parler de soi. J’aime pas trop les déguisements. Les uniformes. Dans Tapis Moquette, je dis un peu ça : "Arrête de te croire aux States, enlève ton baggy, ta casquette". Il faut redescendre à des choses plus simples. Mes Jordan je les traine dans la gadoue. Sur scène je suis vachement proche du public. Je fais marrer, ça charrie. Même les mecs du métal trouvent ça mortel, ils sentent que j’ai du rock. Je suis un beastie boy dans le fond.
Tu as souvent dit que tu étais un entertainer…Tu fais attention à ton image ?
Dans le clip Bad Cowboy, tu imagines bien que lorsque je me promène dans la rue, avec une Singha Beer, chemise ouverte, un gros ventre et des claquettes, j’ai vraiment pas envie de faire le rappeur. Je fais attention à mon image mais je me rends compte que je suis meilleur là où je suis naturel.
Dans Gipsy King Kong, on sent des influences américaines, sur l’instru notamment, le fait de le faire avec Booba qui véhicule une image à l’américaine, c’est très divertissement…
Pour moi, le beat est plus drum & bass que dirty south. La sonorité est électro. Ce morceau est pour moi, un Patate de Forain version 2012.
Donc tu cultives ton image entre caravane, manouche, gitan.
Je cultive le concept du plus beau des moches. C’est ça que je mets en avant.
Son ami Martin entre dans la salle. Congédié gentiment. Il nous explique que c’est son Backer : Je l’ai trouvé en Thailande, je trouvais qu’il ressemblait à B- Real. C’est mon B- Real du Portugal : Depress Hill. (Rires)
Il nous explique qu’il a fait des prods sur l’album : J’étais là-bas pour me détendre, et il est venu me faire écouter ses prods, il déchire. La fusion passe. Je lui ai demandé de venir faire la tournée. Je marche comme ça (il claque ses doigts) au coup de cœur, au feeling, je suis très humain en fait.
« Je suis le gardien de la frontière entre le rap golri et le rap caillera. »
Tu travailles de la même manière pour Néochrome et tes featurings ?
ui je peux pas me forcer. Il y a des gens avec qui ça passe, d’autres pas. Et au final les projets ne se font pas. Je suis obligé de faire des trucs humains. C’est pour ça qu’il y a toujours eu des morceaux avec des mecs inconnus. Dans l’album il y a un morceau avec un mec qui s’appelle Sakyo, c’est l’un des premiers mecs avec lequel j’ai rappé quand j’avais treize quatorze ans.
Comment tu te situes dans le rap français ?
J’essaye de prendre des virages. J’avais adoré Roche de Sébastien Tellier. Ce morceau m’a rendu fou. Je me suis dit : "Mais c’est moi, ça !". Une plage avec des meufs habillées en schtroumpfettes et des lèvres géantes.
En France, les gens n’aiment pas te voir évoluer alors que ça reste du rap, un beat linéaire, un mec qui rappe et qui a la rage.
Je serais resté le même, les gens critiqueraient aussi. Le Français a un problème. Il aime ce qu’il n’a pas. Quoique tu lui donnes, il n’aimera pas, un éternel insatisfait. Maintenant que je suis posé dans le rap, j’ai envie de faire partager mon univers, ce que j’écoutais avant, les films que j’aime.
Comment concilier l’attente du public et ce que tu aimes ?
Quand je demande aux gens les personnes avec lesquelles ils aimeraient me voir rapper, j’ai l’impression qu’ils me tirent vers le bas. Ils veulent des choses que j’ai déjà fait. J’essaye de les convaincre de l’évolution, que certaines choses peuvent être bien. Parfois les gens ont une pépite d’or devant les yeux, ils vont pas la polir. Tu vois par exemple, je préfère rapper avec Fuzati qu’avec Orelsan. La Dame de Fer ça tue ! J’aime quand les gens s’assument entièrement. Le cul entre deux chaises, ça ne marche pas. Je le vois, il faut que ca reste très "rue".
Quand ils comprennent pas, je leur dit : "suis moi, parce que je peux pas m’aimer si tu n’aimes pas ce que j’ai fait là."
Après attention, c’est pas un rap de golmon de la branche à Michael Youn. Plus Svinkels. J’aimais vraiment ce qu’ils faisaient. Gérard Baste écrit vraiment bien.
Narvalo de Cologne fait d’ailleurs beaucoup penser à un interlude de Gérard Baste sur l’album de Qhuit Gran Bang, une ambiance de fête foraine.
Ah ouais ? Je connais pas. Mais tu vois j’aimerais beaucoup que mon dj vienne sur scène en disant "Salut c’est Dj Patrick, vous en voulez encore ?" Je ramènerai des machines à coups de poings, je ferais un concours, je ramènerais des troubadours, des cracheurs de feu. J’en ai toujours rêvé. C’est du divertissement.
C’est un moteur pour toi, ce concept de divertissement ?
J’ai toujours voulu rire. Être showman. Faire le con, faire le pitre dans la classe. Je suis le gardien de la frontière entre le rap golri et le rap caillera.
Auteur : Amandine