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Para One : « Le jour où la musique m'ennuiera, je ferai du cinéma »

A l’occasion de la sortie de son nouveau projet avec San Serac, publié par Sixpack, nous avons rencontré Jean-Baptiste de Laubier, plus connu sous le nom de Para One. Le prétexte idéal pour disserter avec le producteur de Slice & Soda, de son nouveau label dont il partage la direction avec Surkin et Bobmo (Marble), mais également de revenir sur l’aventure Institubes/TTC.
Volontiers bavard, détendu et surtout sans langue de bois, il lève le voile sur son addiction à l'œuvre de Chris Marker et envisage le cinéma comme une possible porte de sortie quand il en aura terminé avec la musique.

Street Tease : Para, peut-on, pour les lecteurs, revenir rapidement sur ton parcours ? Tout a commencé pour toi avec la création d’un groupe de rap : La Horde des Assassins Solidaires…
Para One : Absolument, c’était en 1994. Ça ressemblait à un pré-groupe de rap, un délire de collégien quoi. En fait non, j’ai juste raconté ça une fois en interview parce que les mecs voulaient à tout prix savoir d’où venait mon nom et je trouvais ça assez drôle d’inventer une histoire bidon de potes de classe, mais mon vrai groupe était un autre en réalité. Il a débuté dans un bled à côté de Chambéry, avec des mecs assez ghettos dans la démarche mais ultra inspirés. On a bossé des années jusqu’en 1997 où j’ai eu la chance de placer un track sur une compil de Cut Killer. Pour moi qui débarquais de Province, qui n’avais jamais rien sorti, c’était assez mortel.

Tu t’es ensuite tourné vers la musique électronique…
Ouais, même si ça m’as pris du temps. Le déclic a eu lieu lors de ma rencontre avec TTC, dans les années 2000.

C’est un virage facile à prendre ?
Pas facile du tout, mais électro ou rap, pour moi, il s’agissait avant tout d’une démarche d’expression personnelle. J’ai commencé par bricoler quelques trucs, j’essayais de reproduire ce que j’écoutais et je suis très vite devenu assez bon techniquement. C’est quand j’ai rencontré TTC que tout a changé. Ils ont entendu des trucs que je bidouillais pour des courts-métrages et ils m’ont dit : "c’est ça qu’il faut que tu fasses". Ils m’ont aidé à me lâcher à développer le filon électronique de mes compositions, ce qui pose souvent problème dans le milieu du rap qui reste relativement sclérosé. Tu ne peux pas juste amener de nouvelles idées comme ça, surtout niveau instru. Tu dois le faire à la Mob Deep et fermer ta gueule (rires). Et puis après il y a eu l’atelier et plein d’autres collabs mémorables.

« Tu dois le faire à la Mob Deep et fermer ta gueule »

Jusqu’en 2006, où tu sors ton premier album, Epiphanie chez Institubes, en même temps que l’aventure TTC… Aujourd’hui Institubes, c’est fini. Quel regard portes-tu sur ces belles années ?
J’en garde un souvenir incroyable. On a créé de toute pièce un label qui ressemblait un peu à une extension de TTC à la base, sur laquelle on sortait et on travaillait nos projets instrumentaux, électroniques. C’était assez dingue et je crois que l’on s’est tous fait prendre par surprise à cause d'un succès auquel on ne s’attendait pas. J’ai vite senti au moment de sortir mon propre album qu’il y avait un truc qui se passait. Je faisais des dates à l’étranger, les tarifs augmentaient, les gens parlaient de nous en Angleterre, en Australie… C’était fou et surtout inattendu car finalement, avec du recul, Institubes était un projet de potes grâce auquel on souhaitait simplement fabriquer notre sauce expérimentale dans notre coin. Un truc carrément personnel.

Aujourd’hui tu as créé Marble, ton propre label, que tu as fondé avec Bobmo et Surkin. Pourquoi avoir choisi de travailler avec ces deux artistes ?
D’abord, parce qu'on est voisin de studio et puis surtout parce qu’on s’entend super bien. Nous tournions en permanence ensemble à l’époque d’Institubes, on a d’énormes affinités musicales. Je suis Surkin depuis ses débuts, c’était un peu mon petit frère à une époque, maintenant il a clairement grandi. Pareil pour Bobmo. Travailler ensemble était une évidence.

Et tu viens de sortir ton nouvel album, avec Slice & Soda que je te laisse présenter…
Il est sorti sur le label de Sixpack. C’est un album que j’avais déjà préparé depuis quelques temps et qui devait originellement sortir chez Institubes. Avec la mort du label et tout ça, on a perdu vachement de temps et j’ai pensé le sortir tout seul, avec l’aide de Grand Blanc, mon manager, et finalement on a choisi Sixpack, avec qui j’avais déjà collaboré.

Pourquoi ne pas l’avoir sorti sur Marble ?
Parce que ce n’est pas vraiment du son Marble. La collab avec Sixpack était finalement assez logique. J’avais envie de faire les choses d’une autre manière pour le coup, avec un autre réseau et un fabricant de fringues, c’est juste parfait, c’est une couverture différente. En tout cas, c’est mieux que de se retrouver face à des maisons de disques qui stressent, ne savent pas ce qu’elles veulent ni comment faire face à l’industrie qui s’écroule. Sixpack, c’est une marque en bonne santé, avec des gens motivés et optimistes. Les artistes aiment de moins en moins les agents frileux des labels et maisons de disque. Nous, on a envie de rêver !

Comment as-tu travaillé sur ce nouveau projet ?
J’avais au départ un certain nombre de sons, pour lesquels je ne me posais pas trop de questions. J’ai quand même posé assez rapidement les bases des instrus - qu’on peut entendre sur le disque - et DJ Mehdi est venu au studio pour me suggérer de monter un groupe. J’ai trouvé l’idée géniale car je voulais un album à l’univers cohérent, avec de vraies paroles. Un peu comme avec TTC où même si on était dans le trash, les paroles étaient primordiales. Ça me faisait chier d’avoir juste des paroles façon yaourt écrites par mon voisin de palier, je voulais de l’authenticité dans l’écriture et c'est un truc que San Serac a apporté au projet. Je ne connaissais pas du tout son taff avant de travailler avec lui sur l’album. Je l’ai découvert sur MySpace et ensuite… ce qui devait arriver arriva. On a commencé à s’écrire et on s’est super bien entendu. Il est venu à Paris, je suis allé à Boston et on a évidemment aussi pas mal travaillé via le net. Et je crois que le résultat est là.

Parlons un peu de ton rapport à l’image. C’est un aspect de ton travail qui me semble primordial. Je pense bien évidemment, entre autres, au film que tu as réalisé en hommage à Chris Marker. En quoi est-il un personnage important de ta vie ?
C’est simple, quand j’ai vu Sans Soleil, pour la première fois, je devais avoir 17 ans, j’ai eu envie de faire des films. A l’époque, je m’en foutais un peu du cinéma. J’avais vu Les Trois Frères, l’Exorciste, ces conneries-là et je ne comprenais pas trop en quoi le cinéma pouvait être un art. La découverte de Chris Marker a été déterminante. Je m’apprêtais à faire des études d’ingénieur du son et j’ai dérivé vers la réalisation. C’est quelqu’un qui m’a guidé mentalement, on a communiqué à une époque, il m’a soutenu sur deux, trois projets, j’étais hyper flatté mais ceci dit les films que je fais ne sont pas tous influencés par lui. Mon film hommage était, lui aussi, une commande de Sixpack. En l’occurrence Lionel, le mec qui a lancé le projet avec Sixpack est un cinéphile, obsédé par l’oeuvre de Marker. Il a lancé une collection autour de ça, et m’a proposé de participer, avec eux, au projet.

Tu as dit un jour : « Filmer me permet de garder le contact avec le réel ». Tu le penses encore ?
Par définition oui. A l’époque où je tournais It Was On Earth That I Knew Joy en tout cas. Je faisais un journal intime à la base, qui est devenu une fiction. J’avais l’impression que le temps se déroulait très vite : je n’arrêtais pas de voyager, de ne pas être chez moi, sans trop comprendre ce que je faisais ni ou j’étais et le fait de filmer, de disposer d’une time line, avec des images dans un certain ordre, ça m’as permis de me souvenir, de fixer des situations, de mieux les assimiler. Avec ma caméra en poche, je me sens moins menacé.

Finalement, tu as un rapport super étroit avec le cinéma. Que ce soit la réalisation, la production de BOF : tu as travaillé sur la musique des films La Naissances des Pieuvres et Tomboy
Carrément. Céline Sciamma est une pote d’école, nous étions à la Fémis ensemble. Elle était en section « écriture de scénario », j’étais en « réalisation », on bossait ensemble sur quelques projets. Ensuite, j'ai bifurqué vers la musique, je n’avais pas le temps de m'investir dans ses projets, de l’assister concrètement, alors j’ai apporté ma contribution comme je le pouvais... par la musique.

Après avoir réalisé un court métrage, et touché à pas mal de projets ciné, tu n’es pas tenté par un long format ?
Si ! Complétement. J’ai un projet de long métrage qui est tout le temps en développement. Il faut juste que je prenne vraiment le temps de m’y pencher. Ça prend un temps de ouf et je suis tout le temps en studio. Pour le moment c’est la musique, tant que ça me passionne... Je sais que le jour où je me ferais chier en musique, je basculerais direct sur le ciné.

J’ai lu aussi que tu ne te sentais pas trop en phase avec la musique qui est diffusée sur les ondes radios ?
Ça dépend de quelle musique tu parles. La pop française me stresse. J’ai toujours été fan de la pop mainstream américaine. Il me semble, à vrai dire, que je suis alternativement fasciné par les trucs super underground et les trucs mainstream. A la fin des années 90, par exemple, je trouvais que le rap se renouvelait vachement dans l’underground, puis ça ma soulé assez rapidement et le mainstream a pris le relais. Ce qui passait sur MTV à cette époque-là était dingue alors que le rap purement underground devenait complètement cliché. C’est des périodes. Mais c’est vrai qu’en ce moment, quand je regarde le top iTunes, c’est difficile de s’enthousiasmer.
Le problème de la radio française c’est qu’elle marche à la reconnaissance, les auditeurs doivent reconnaitre ce qu’ils entendent à la différence des stations anglo-saxonnes où il y a vraiment des fenêtres énormes pour des artistes inconnus, des nouveautés. En France, on est en 2011 et Nostalgie continue toujours de diffuser Patricia Kass, il n’y a aucune prise de risques, c’est ça le problème. Tu vois à une époque, je me disais : « un jour, je passerai à la radio et je serai comme ces artistes que j’admire ». Aujourd’hui ceux que j’aime sont finalement peu connus et sérieux, je n’ai pas envie de participer au top 50 actuel (rires).

Comment tu perçois l’évolution de la scène électro ?
Ça évolue super vite. Ado, je fréquentai les raves. C’est là que j’ai découvert la puissance de cette musique. Sauf qu’à l’époque, il y avait quelque chose d’anonyme - si on ne compte pas les tubes qui cartonnaient à la radio - tu ne connaissais aucun disque que les djs passaient. Aujourd’hui, tu sais ce que le mec va passer mais en plus tu peux instantanément le télécharger et l’ajouter à ta playlist iPhone. Il n’y a plus de mystère. Je ne suis pas nostalgique, je m’en fou, les choses évoluent c’est normal, mais là, ça va de plus en plus vite. Après, sur le marché, même s’il reste la base Ed Banger/Kitsuné/Institubes, le côté trash, avec guitares saturées dans la techno, ça me gonfle. On oublie trop souvent le groove. Le seul point positif vient des courants anglo-saxons et des mélanges, on revient aux fondamentaux. Il y a des connexions qui se créent entre la techno et des trucs plus funky. Et c’est super excitant !

« Je sais que le jour où je me ferais chier en musique, je basculerais direct sur le ciné »

Et en live ? Tu préfères les dj set artisanaux ou déployer une grosse machine de guerre avec intégration de fumée et de visuels ?
Haha. Pour moi un bon live, c’est un live simple où tu vois le musicien en train de créer de la matière, en direct. Et il n’y a pas besoin de pyrotechnie pour ça. L’intégration vidéo, je l’ai fait avec Tacteel à la Gaîté Lyrique, c’était une bonne expérience, mais je ne trouve pas ça primordial. J’aime l’artisanal, c’est clair, je m’attache à me concentrer sur ce que je fais, à le communiquer. Et quand il y a un visage, une interface humaine, les gens peuvent identifier la musique, mieux la comprendre. C’est une façon de la rendre, plus lisible, plus pédagogique.

Finalement c’est quoi le style Para One ?
Putain de question. Je pense que l’on peut reconnaître mon style à travers mon écriture mélodique. Même avant TTC, il me semble qu’il y a des cohérences harmoniques dans mes compos. Après, il est vrai que je pars souvent dans tous les sens. C’est difficile à résumer (rires).

La trentaine a-t-elle changé des choses, sur ta vision du monde, dans ta façon de travailler ?
Ouais ! Et c’est carrément mieux. Quand t’as 22-23 ans, que tu commences à faire de la zik, c’est assez violent, surtout dans les petits milieux parisiens, il y a beaucoup de stress, d’égo et de compétition. Quand t’as commencé à raconter une histoire, qu'elle soit réussie ou ratée, t’es déjà plus relax… Après un premier album par exemple, on peut te dire que c’est de la merde ou que c’est cool, t’as quand même dit quelque chose. Du coup, je me retrouve dans une position de challenger, je peux proposer de nouvelles choses, un peu comme une sorte de deuxième jeunesse, avec moins d’ego et donc moins de stress.

Entretien publié le 27 juin 2011

Auteur : Thomas Carrié
Photos : Droits Réservés