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Greg Frite : « J'ai toujours aimé l'improvisation »

Les opposés s'attirent. Antoine Smith et Greg Frite proviennent d'horizons totalement différents. Un réalisateur de formation classique passionné de hip hop qui rencontre un membre influent du rap français indépendant, le cocktail est explosif. Ils jouent donc à fond la carte de la complémentarité, et ça marche !
Leur programme court qui réuni pléthore de MCs hyper talentueux rencontre son public et le succès de l'émission se chiffre en milliers de vues sur You Tube. Nous sommes allés à leur rencontre pour enquêter sur les secrets d'une telle réussite.

Comment le concept Piège de Freestyle est-il né ?
Antoine Smith : C'est une idée que j'ai eue en 2002. Je viens d'une famille de musiciens jazzeux et j'ai toujours été passionné par l'improvisation. Quand j'ai découvert le rap, j'ai trouvé génial la façon dont les freestylers jouaient avec les mots et les idées. Je voulais faire une compil des meilleurs passages d’impro des MCs. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai rencontré un ancien de chez Sony, avec qui on a remis le projet sur le tapis. C’est devenu une émission d’humour et de rap où l’impro était encore une fois à l’honneur. Mais les retours télé étaient assez mitigés. Ils s'en foutent de l'impro ! J’ai rencontré Greg, qui m’a apporté toute son expertise de MC/rappeur. Cette longue période de laboratoire a fait aboutir le projet.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
A.S : Ça faisait un an et demi que je planquais des pilotes d’émission. Je passais de bureau de prod en bureau de prod et à chaque fois on me disait : "c’est intéressant" mais personne ne lâchait une thune. J’ai remis le projet sur Internet, et très vite Greg m’a contacté. Il avait bien accroché et a participé à l’ancienne version.
Greg, comment as-tu accueilli le projet ?
Greg Frite : J’ai tout de suite trouvé le programme porteur. Je voulais participer au projet et avec Antoine, on a remanié le format. On s’y est collé pendant deux, trois mois et ça a porté ses fruits. On ne se connait pas plus que ça mais ça a tout de suite marché. Le plus difficile dans ces métiers-là, c'est de trouver les équipes qui fonctionnent, il faut que ce soit fluide. Là, en l'occurrence, ça a l'air de marcher !
Peut-on dire que La Chronique c’est le point de départ de Piège de Freestyle ?
A.S : C’est encore autre chose. Un jour, je m’étais posé la question : "Y-a-t-il du Hip Hop à Venise ?". Alors je me suis payé un billet, j’ai pris ma caméra et je suis parti à Venise ! Je voulais juste parler des choses qui m’intéressent et c’est à titre personnel que j’ai fait ça.

"j’ai pris ma caméra et je suis parti à Venise !"

Le premier épisode de 2012 c’est Rap et Média, si demain on vous donne un créneau télé, vous foncez ?
G.F : Il est évident que c’est la suite logique de ce programme, en tout cas c’est ce vers quoi on tend. Notre démarche c’est de lancer des bouteilles à la mer. On tente des projets avec un maximum d’implication et on voit si ça marche. Si on peut entrer dans une logique économique et faire vivre le programme à travers la télé, clairement ça nous intéresse.
Qu’est-ce qui prime pour vous ? Mettre en lumière le hip-hop ou diversifier les sources d’information ?
A.S : Le rap, c'est peut-être la discipline du hip-hop qui doit faire le plus de concessions pour survivre médiatiquement dans notre pays, contrairement à la danse qui entre à l'Opéra, ou encore le graffiti qui se globalise avec le street art. Le rap s'est tiré des balles dans le pied, mais côté médias, on l'attaque toujours sur sa prétendue homophobie, sa prétendue misogynie, alors qu'on est dans un pays où le mariage homosexuel est toujours interdit et que le niveau de salaire des femmes est moins élevé que les hommes ! On raconte n'importe quoi sur le rap. C'est une musique qui peut être pertinente, marrante, sérieuse, ce sont ces aspects-là que j'ai voulu mettre en avant dans l'émission.
G.F : C’est les deux ! (rires) En fait, c’est ça le concept de Piège de Freestyle : des brèves de comptoir, mais en rap. Faut savoir que le rap a été clivé, on sort de dix ans de rap caillera et c’est stigmatisé en tant que tel. Alors qu’aujourd’hui, on retrouve une fraicheur/une nouvelle effervescence, on veut vulgariser ce courant musical.
A.S : Depuis que Greg gère la programmation, on essaie davantage de mélanger les genres. Les MCs, les beatmakers et les invités d’horizons différents sont amenés à faire des choses ensemble.
G.F : Ces derniers temps, je n’ai fait qu’ouvrir des tribunes (Triptik, DjunZ, La Fronce, Can I Kick It ?) pour que chacun tire son épingle du jeu à la hauteur de sa valeur et du travail fourni. C’est valable aussi bien pour les MCs que les beatmakers. Ça se ressent sur les réseaux sociaux, dès que l’un à une actu, c’est cliqué, "liké", partagé.
G.F : En ce moment, ça me rappelle un peu la saison NBA 2008, chaque équipe avait son super-héro. Chacun a des compétences différentes et on est complémentaire. On veut juste kiffer avec les gens qui sont dans la même sensibilité artistique et humaine que nous.

"les gens ont des choses à dire. Il faut juste tendre l’oreille."

On se rend compte, avec votre émission, que le hip-hop français n'est pas mort, qu'il respire encore...
A.S : Ce qui est clair, c’est que dans un pays comme la France, on nie et on marginalise un art qui existe depuis plus de trente ans, alors qu’aux Etats-Unis, c’est limite la culture pop. A un moment faut prendre le bus !
G.F : C’est de le faire comprendre au plus grand nombre et ça passe par le ton d’Antoine. Au-delà du rap, c’est aussi d’affirmer quelle que soit la discipline, que les gens ont des choses à dire. Il faut juste tendre l’oreille.
Ça se passe comment avec les MCs et les beatmakers ?
A.S : Il y a eu de nombreux pilotes avant l’émission. J’ai beaucoup bossé avec DJ Logilo, parce qu’il m’a toujours soutenu et filé des instrus. En arrivant, Greg a soulevé quelque chose de pertinent : rester sur une même dynamique, c’est aussi s’enfermer. Alors, on a voulu diversifier la programmation des MCs et des beatmakers. En revanche, je suis très exigeant et attaché à la sélection des instrus qu’on nous propose. En gros, je suis plus sur les prods, et Greg se charge des MCs.
G.F : En ce moment, c’est assez fou ! Le niveau est énorme sur tout l’hexagone. Cette génération a grandi avec J. Dilla, Madlib, les Neptunes… C’est l’occasion de découvrir de nouvelles têtes.
Avez-vous déjà eu des réponses négatives ?
G.F : Pour l’instant non… Je me plais à croire que j’ai un bon réseau, une bonne réputation. Je mets au défi quiconque de trouver un mec qui me déteste à Paname. J’aime vraiment ce que font les mecs que je sollicite, je sais pourquoi je les prends. Au-delà de leur personnalité, il y a aussi un public.
Quelle est votre background à tous les deux ?
A.S : Je suis violoncelliste de formation, je suis fortement influencé pat la musique classique. J'aime beaucoup la musique anglaise, tout ce qui est U.K sounds, mais aussi tout ce qui est mainstream. J’ai la chance d’avoir une oreille ouverte. J’aime aussi le hip-hop, forcément, parce que c’est la musique des gens qui n’ont rien à la base, je ne sais pas pourquoi, mais ça me touche.
G.F : Je suis plutôt un enfant du Top 50 ! Quand Marc Toesca disait : "salut les p'tits clous !", j’étais devant la télé. A la maison, c’était une espèce de bouillon de culture mêlant des sons populaires, comme les Beatles et Gainsbourg, à des trucs plus pointus comme le jazz caribéen. Mais quand le rap est arrivé, ça me parlait !

Entretien initialement publié le 20 mars 2012.

Auteur : Shehan & Eddy
Photos : Shehan & Eddy

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