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Antoine Durand : Sorti du rang

Photographe décalé, membre fondateur du Garage Paris, Antoine Durand parcourt spontanément le terrain à l'affût du vrai sous tous ses aspects même les plus morbides. Reportage, paysages, photos chinées, ce bubar relax cadre son idée de la réalité : l'éphémère des conditions humaines, des revendications sociales, des fêtes foraines ou des enseignes commerciales immortalisé dans un parfum de lèchefrite et publié en copyleft.

Tu t'appeles Antoine Durand
Antoine Durand : Oui, c'est cela même.
Tu fais de la photo
Je fais tout particulièrement de la photo parce que c'est un médium que j'ai découvert tout petit et qui m'a suivi. J'ai toujours pris plaisir à en prendre, ça aurait pu être le dessin ou autre chose, mais c'est la photo. J'ai pas envie d'en faire un métier car je veux garder le plaisir. Justement là je vais arrêter de faire des pochettes et des trucs commerciaux pour me consacrer à ce que j'aime photographier, même si on ne voit les tirages que dans dix ans.
Parce que t'as réussi à en vivre en mode plus commercial ?
A en survivre quoi, de là à être dans une optique commerciale... Je cherchais à décrocher de nouveaux projets avec le collectif Garage, des pochettes et de la créa. En fin de compte, même si c'est un peu plus long je préfère approfondir les voies qui me plaisent vraiment. Je pourrais le faire 24h/24 pour le plaisir de creuser.
Parle nous d'abord un peu des pochettes d'album
Il y en a eu plusieurs : on travaille depuis toujours avec 1995 et plus récemment avec Griefjoy (ex-Quadricolor NDLR), un groupe de Niçois. C'est leur label Arista (Sony) qui nous a contactés il y a quelques mois pour construire l'identité visuelle du groupe. Syrine a même réalisé le clip du morceau Touch Ground. Quant à Quatre-vingt-quinze ce sont des potes donc on leur fait pas mal de boulot, la pochette du dernier album, Paris Sud Minute, mais aussi clips. Tiens, Sneazy était là il y a deux minutes. Quatre-vingt-quinze c'est des amis avant tout, je les vois pas comme des rappeurs ou des collègues de travail.
T'utilises quoi ?
Plein de choses : en ce moment j'ai un moyen format, un 6x7, c'est très pratique, je ne mets jamais de pied ni de flash.
Comment décides-tu d'aller quelque part ? Tu pars en reportage ou tu circules juste avec un appareil photo ?
Des évènements d'actualité m'attirent et j'aime bien voir comment la presse en parle. Je suis allé par exemple au Vatican pour la démission du Pape ou à Bugarach, le village qui attendait la fin du monde en France le 21 décembre 2012. Et en fait j'y ai trouvé exactement ce que je pensais : un petit village de 300 habitants avec 300 journalistes tout seuls dans les rues, rien que des journalistes qui filmaient des journalistes. La presse en a tellement parlé qu'elle a créé un évènement qu'elle se devait de couvrir. 300 journalistes du monde entier, certains arrivés depuis 10 jours, des Allemands, des Japonais, pour rien, vraiment rien ! Il y avait juste le gars qui jouait de la flûte (Sylvain Durif NDLR) et qui est passé sur toutes les télés, j'ai des vidéos de lui il était vraiment marrant.
T'as des habitudes de reporter, tu serais pas attiré par le photojournalisme ?
Ben il faut dire que ce serait une voie plus adaptée que celle du monde de l'art contemporain et des galeries, ça colle assez avec ce que j'aime faire. En même temps je suis pas sûr d'être le meilleur pour faire l'illustration d'un thème d'actualité. Je préfère rester maître de mes reportages plutôt qu'être pressé par le temps. Je me rappelle d'une expo d'anti-photojournalisme récemment à Barcelone qui regroupait plein d'artistes et documentaristes avec des démarches à l'opposé des formats de la presse magazine. J'aime les choses qui se travaillent sur le long terme et je pense à des projets qui peuvent se compléter au fil du temps.
C'est la simple curiosité qui te pousse à aller voir ce qu'il se passe ?
Ouais, l'envie d'aller voir par moi-même. Tu parlais de reportage mais je ne connais pas la convention du reportage et je ne réponds pas à un cahier des charges. D'un voyage si ça se trouve je ne vais garder qu'une image. C'est un peu comme quand je chine un objet, comme une collection. D'ailleurs en arrivant dans une ville je fais deux choses : des photos et les vide-greniers.
Aux puces je collectionne aussi les photos trouvées, les négatifs dont les gens se sont débarrassés ou les pellicules qui sont restées dans les appareils en vente. A travers mes planches contact et celles que je récupère dans la rue j'ai relativisé un peu le statut de créateur et d'artiste, je ne crois pas au talent. Là où il y a du talent je pense, c'est dans le choix : qu'une planche contact soit de moi ou de quelqu'un d'autre, je retiens toujours des images qui m'attirent pour les mêmes raisons.
Quelles sont ces raisons qui font qu'une photo te plaît ?
C'est quand elle m'interroge. Je pense qu'on est arrivé à une ère où faire de belles images, très nettes etc. est devenu possible et très accessible. Dans les photos que j'aime l'homme est au centre même s'il est absent : c'est l'homme et son territoire, son aliénation...
Tes photos de fêtes foraines désertes et de friches ?
Y'a un côté nul dans la joie, en fait le monde est tout pourri et je pense qu'une des stratégies pour vaincre ce système c'est d'en rire. A partir du moment où on ne le prend plus au sérieux, on n'accepte plus les pacotilles qu'on nous propose. Je privilégie le sens dans la photo, car pour la technique il suffit de tout mettre en automatique.
Les photographes que tu kiffes ?
Cartier Bresson c'est le meilleur, sa géométrie... Il disait qu'une bonne image est bien quand on peut la mettre à l'envers. Et puis qu'il prenne un pot de fleur, Marilyn Monroe, ou un prisonnier au fin fond de la cambrousse, il a le même respect pour son sujet. En tout cas je pense que le principal pour faire de la photo c'est de voir un maximum d'images.
T'exposes un peu, je me souviens de Showtime l'an dernier.
Showtime c'est une collection. Un nouvelle image peut se greffer sur une collection et lui apporter un sens nouveau. Ici j'en ai une vingtaine (il montre une série de tirages) et si j'enlève la tombe de Karl Marx par exemple, le sens de la série change complètement.
Là nous sommes au Garage, c'est le siège d'un collectif dont t'es un membre fondateur.
Oui, on est les galériens de ce lieu depuis le début. C'est une ancienne fabrique de bière.
Vous y avez installé un atelier de menuiserie, de montage vidéo... Il y'a beaucoup de projets célèbres qui ont commencé dans un garage finalement, quels sont les ambitions du lieu ?
Il faut se détacher un peu du lieu ; ce qui fait le Garage ce sont ses projets plus que l'endroit (graphisme, design, photo, son, réalisation, sape, ndlr). Tout ses membres commencent à se trouver dans ce qu'il ont envie de faire et c'est bien l'essentiel.

Auteur : guillaumedop
Photos : guillaumedop & DR

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