
Guillaume Le Goff : “Clark était le premier magazine lifestyle en France”
15 années d’activisme au service des street cultures ne l’ont pas rassasié. La flamme est toujours là, intacte. Il faut dire que le ménagement n’est pas sa principale qualité, Guillaume le Goff est un hyperactif, peu avare lorsqu’il s’agit de valoriser les cultures alternatives et il en connaît un rayon. Pas de secrets, Il n’a brûlé aucune étape, des premiers tricks sur le bitume choletais à l’organisation de Contests, de la confection de fanzines jusqu’à la rédaction de Clark, de l’UBU au Rex Club, il s’est construit un solide bagage. Derrière l’entertainer, se cache une curiosité, un savoir-faire et une simplicité peu communs.
Comment un jeune skateur vendéen s’est-il retrouvé propulsé à la tête du magazine français le plus cool de la presse spécialisée ? Street Tease a enquêté du côté de Bastille.
Street Tease : A quand remonte ton premier contact avec les street culture ?
Guillaume Le Goff : Je viens d’une petite ville de l’ouest de la France, à savoir Cholet. Il se trouve que dans cette minuscule ville entourée de champs il y a eu une des premières rampes de skate-board en France. C’est anachronique mais je ne viens pas d’un milieu d’ensembles urbains imposants et grisâtres, j’ai grandi dans la verdure (rires). J’ai pris une vraie gifle à cause premiers évènements organisés vers la fin des années 90 comme « l’Authentic Skate Week-end ». C’est mon premier contact avec les cultures alternatives. Il y avait des concerts de fusion, des jams de graffiti. Dans ce type d’événement on a commencé à écouter des mixes de rap, de punk et de rock, en même temps, c’était la bande-son des vidéos qu’on commençait à mater, les vidéos Powell, Santa Cruz... J’avais 14-15 ans, je trafiquais des mobylettes avec mes potes et on a commencé à tous se mettre au skate.
A partir de là, c'est le déclic ?
Par la suite, j’ai intégré l’organisation de l’Authentic Skate Week-end, j’en suis devenu le vice-président pendant 6 ans. Parallèlement, je poursuivais mes études de commerce et de journalisme à Rennes. On était toute une bande à se retrouver le week-end pour préparer cet événement qui avait lieu une fois par an, au printemps. A côté de ça, vers 93-94, j’ai commencé à réaliser un fanzine à l’époque du contest qui traitait de skate, de musique, de graphisme...
« Nous n'avons pas la volonté d’être indépendants, nous le sommes, c’est une réalité. »
C’est ton premier lien avec l’édition ?
Ma mère était instit, on avait un ordinateur à la maison et une photocopieuse à l’école, on fabriquait des fanzines en loucedé après les sessions de skate, on écoutait Cypress Hill et on fumait des bangs. On avait besoin de s’exprimer, on aimait écrire, prendre des photos, faire de la mise en page. On le sortait à la photocopieuse pour le donner à nos potes. Petit à petit, on le donnait dans des festivals de musique, d’art, à Nantes, Rennes, Poitiers…
Ensuite, j’ai été étudiant à Rennes ou j’ai monté une asso de cultures urbaines, on produisait un fanzine un peu foutraque avec du skate, du graffiti, du graphisme… à une époque ou le terme « street culture » n’existait pas. En 94-95, c’était un peu abstrait, j’écoutais autant Suicidal Tendencies, les Beastie ou Public Enemy. De plus Rennes était une ville très active en matière de culture, j’ai eu la chance de voir un paquet de concerts. Certains groupes ne passaient même pas par Paris pour venir jouer en Bretagne !
C’est là que j’ai commencé à piger pour quelques magazines parisiens comme R.E.R. J’ai chroniqué Invisible Scratch Pickles lors de leur date parisienne. Je collabore également avec Tricks qui vient juste de se lancer vers 97. La scène rap française était florissante. C’était une période assez excitante.
Tu t’occupais déjà de la communication, une activité indissociable de l’entreprise de presse...
C’est le lot commun des gens qui décident de faire les choses parce qu’elles n’existent pas. Il faut que tu t’occupes de tout, c’est la culture du Do It Yourself.
Quand tu crées un événement non subventionné, il faut bien rencontrer des partenaires et apprendre à vendre quelque chose, à développer une image.
En 2000, le mot lifestyle existe à peine en France...
A l ‘époque, tu avais des magazines transversaux à l’étranger, comme The Face, Grand Royal, le mag des Beastie Boys, au Japon également mais c’est vrai qu’en arrivant à Paris, une ville qui a une dimension internationale, on a eu l’idée avec le rédac chef de Tricks (Jonathan Choquel — NDLR) de concevoir un mag qui n’existait pas en France. On voulait créer un magazine qui regroupe toutes nos passions, nos centres d’intérêts. C’est vrai qu’à l’époque les gens des marques ne savaient pas ce que c’était, idem pour le grand public. Au départ, c’était pas facile mais on prenait vachement de plaisir à vider nos chambres, à déballer nos sneakers, nos toys...
Un vrai déballage organisé ?
On essayait d’avoir une ligne éditoriale un peu marrante, dans un délire proche de Grand Royal, qui était une grande influence pour nous. Dès le numéro 1, on a mis Lee Scratch Perry en couverture, puis des catcheurs, Afrika Bambaata. C’était l’occasion de rencontrer des piliers de notre culture.
Les choix éditoriaux se font dans une totale liberté ?
Nous n'avons pas la volonté d’être indépendants, nous le sommes, c’est une réalité. On prenait la liberté de traiter de tout ce qui nous avait bâti en tant qu’individu dans le même magazine. L’éditeur de Clark vient également des sports de glisse, il nous a toujours laissé une énorme liberté éditoriale. Du coup, on ne s’est jamais bridé et dès le début, c’était un lâchage total, on parlait de tout, du porn jusqu’à la fumette. On était en plein dans l’époque Jackass, avec tout le côté délire qui va avec et en même temps on avait des sujets sérieux, on a fait Ignacio Ramonet, le directeur du Monde Diplomatique, des climatologues, des chercheurs. C’était un mix entre de la déconne et un peu de sérieux.
Combien de membres composent l’équipe Clark ?
Au départ nous sommes quatre, l’équipe de Tricks 100% parisienne très ouverte d’esprit et puis moi, le jeune punk-skateur provincial qui a envie de bouger. On a une vraie culture commune. Ca fait trois ans que j’ai repris la rédaction en chef et le secteur marketing. A partir de là, j’ai pu constituer mon équipe de rédacteurs.
« Je débarque, à New York, je brunch tranquillement dans Manatthan, il est 8 heures du mat’ quand je vois passer MCA avec sa meuf devant moi ! »
Tu fais évoluer la maquette, les couvertures deviennent plus « graphiques », la DA change également...
On a choisit Veenom, qui fait parti du collectif 109, il a pris en charge la direction artistique du magazine. A partir de là, on va donner carte blanche à un artiste pour remixer la couverture, tout en respectant quelques basiques. Cette liberté créative nous a donné un plus et immédiatement, on l’a ressenti dans les ventes.
Le premier numéro qui a bénéficié de ce dispositif était le spécial Kourtrajmé/DJ Mehdi avec SO ME à la baguette.
Au début, on craignait que les kiosquiers ne soient pas réceptifs mais on s’est rendu compte que plus on offrait un magazine esthétique et coloré, plus la couverture était remarquée et mise en avant.
Les ventes ont augmenté, l’attente est devenue plus grande de la part des lecteurs, la formule bimestrielle s’est imposée d’elle même...
L’époque a changé, le concept street touche plus de personnes. Les nouvelles générations sont plus sensibles aux cultures transversales, ils veulent retrouver sur un même support tout ce qui fait leur kif dans la vie.
Est ce que tu as un numéro fétiche ?
J’ai toujours tendance à dire que le dernier numéro est le meilleur, en même temps, au moment de la sortie, je m’arrache les cheveux car on y voit pleins de petites erreurs à a cause de la prod, assez freestyle.
J’ai adoré la couv de Parra, à une époque ou il n’était pas très connu, celle d’Andy Rementer, façon BD également, SO ME, Steven Harrington, Razauno bien sur. Un peu moins le numéro de cet été (2007) avec Timothy Mc Gurr au niveau du résultat photographique.
« Vous savez pas trop ce qu’est Clark, voilà le groupe qui a le plus compté dans notre culture »
En parallèle du magazine, tu lances les soirées U.S.R
J’organisais avec mon asso rennaise des concerts, on faisait venir la crème de la scène rap française (Idéal J, Fonky Family, Busta Flex, La Rumeur, X Men). Quand j’arrive à Paris en 2000, j’ai le sentiment que Paris ne dispose pas d’une soirée Hip Hop en club. On entend pas de mixes comme le faisait DJ Shadow ou tu pouvais écouter du funk, du rap, du rock. Le rap, c’était caillera et ça n’avait pas le droit de cité en Boîte. Ca se mélangeait pas des masses. On voulait juste écouter des classiques du Wu Tang en soirée !
Quand on a lancé le numéro 2 de Clark, j’ai fait le tour des clubs parisiens pour organiser une soirée de lancement et le Rex est le seul club à avoir accepter. Le Gibus était intéressé mais j’ai préféré le Rex pour son Soundsystem énorme. On a fait une release party au Rex avec les premiers lives de La Caution et TTC, Busy P, DJ Mehdi et Draghixa, l’actrice de cul qui mixait de la house.
C’était un bon moyen de nous amuser tout en donnant une vitrine au magazine.
Tu as une anecdote assez dingue sur le numéro Beastie Boys je crois...
On avait décidé de consacrer un numéro entier aux Beastie durant l’été 2003. On voulait dire aux gens : « Vous savez pas trop ce qu’est Clark, voilà le groupe qui a le plus compté dans notre culture ». On récolte une vieille photo récupérée dans une agence en Angleterre par l’un de nos photographes (cf couverture du numéro 8).
Début septembre 2003, je débarque, à New York, je brunch tranquillement dans Manatthan, il est 8 heures du mat’ quand je vois passer MCA avec sa meuf devant moi ! J’ai le numéro spécial Beastie dans mon sac, le mec du resto pense que je veux me barrer en courant, je lui laisse mon sac à dos. Dans la panique, je vois MCA qui tourne au coin de la rue, je négocie avec le barman, je lui laisse mon sac à dos et me voilà en train de courir derrière MCA et j’arrive, par chance à le rattraper. Je le supplie de m’attendre, je lui laisse entendre que j’ai réalisé un magazine qui se trouve dans mon sac.
J’y retourne, je suis en sueur et je me dis que jamais il ne m’aura attendu. Et là surprise, au coin du bloc, MCA qui m’attend paisiblement sur un banc avec sa femme ! Je lui montre le mag, il hallucine sur la photo et on commence à discuter du prochain album. C’est un moment dingue, il me lâche des infos sur le futur album qui sera un hommage à New York à cause des attentats. Il me parle d’un morceau ou il souhaite intégrer des lyrics dans plusieurs langues et me demande une traduction en français que je lui note sur un bout de papier. 5 mois plus tard, je suis invité à New York pour écouter le nouvel album lorsqu’au troisième morceau j’entends ma phrase. C’est à ce moment précis que tu te rends compte que tu fais un taf génial.
Entretien publié le 2 février 2008
Auteur : @FrancoisChe
Photos : Mpy Was Here