
Oeno aka JR Ewing : « Etre hip-hop, c'est pas juste enfiler des sapes »
Acteur majeur du hip-hop en France depuis les années 1980. JR Ewing a tout connu : les débuts du graffiti à Paris dont il fut l’un des pionniers avec son crew les VEP. Oeno hante encore les couloirs du métro. Il contribua également via son label Arsenal Records à la génération dorée du rap français. DJ puis manageur de La Cliqua et de Daddy Lord C., JR se concentre aujourd’hui sur la production de ses fameuses mixtapes de rap US qui s‘arrachent comme des petits pains.
Street Tease : Que gardes-tu de ton expérience dans le graffiti ?
JR Ewing : Au départ, je taggais seul et c’est comme ça que j’ai fait mon buzz. J’habitais dans le 77 donc je connaissais personne sur Paris. Je montais par la ligne Melun-Gare de Lyon (ligne D du RER). J’au eu un bon buzz après le concert d’Assassins à la Porte de la Vilette. Le concert a pris du retard et à la fin, les métros étaient fermés pour cause de travaux. J’ai repéré une ouverture au dessus de la grille. Je suis rentré dans la station pour attendre l‘ouverture et là je suis tombé sur les 32 métros de la ligne 7. J’avais un sac à dos bien remplis et j’ai niqué les 32 métros, intérieurs et extérieurs, tout seul. Le lendemain, ça a fait beaucoup de bruit. A l’époque, hormis les CTK et les AEC, peu de monde faisait des dépôts.
Ça impressionnait car j’étais seul et en plus j’avais trouvé les éponges à la corio avec Distur et du coup les métros étaient « à jeter ». Tu pouvais pas enlever l'encre et ta signature restait.
L’apogée de ta carrière, c’est la station Louvre-Rivoli dans la nuit du 1er mai 1991, avec Stem et Gary ?
C’est l’année en entier, pas seulement la station en elle-même. Maintenant je peux le dire, il y a prescription, après ma sortie de prison et même si j’ai changé de nom plusieurs fois, on s’est bien éclaté. J’ai ouvert mon crew en 89, les VEP et j’ai recruté mes gars pendant 3 semaines dont Colorz, que j’avais repéré, je savais qu’il allait devenir un king. J’ai réussi à avoir ses coordonnées et on s’est rencontré dans un grec d’Etienne Marcel, bien caille-ra. Il m’a dit oui à condition qu’on pousse le délire plus loin. Tout le monde voulait savoir à l’époque ce qu’était la corio et quand tu rentrais VEP, tu savais le secret. Il y avait des bandes entières qui me couraient après pour avoir la recette !
C’était une époque ou il fallait réussir à garder ton blouson sur le dos, quand on me parle de l’insécurité aujourd’hui, ça me fait bien rigoler.
Comment tu t’es retrouvé dans le rap game ?
Mon entrée dans le hip-hop, comme beaucoup de monde, c’est à l’époque de Sidney. En étant de Melun, j’avais un gros manque de hip-hop dès que je quittais Paris. A l’époque le graffiti et le rap n’étaient pas tellement liés. J’enregistrais les mix de Dee Nasty et dès 87, j’allais à la FNAC Montparnasse, on arrivait avec des cartons à dessins ou des faux plâtres qu’on remplissait de vinyles, avec les premiers Eric B. & Rakim...
« Le graffiti, je compte à partir du moment ou je suis devenu un king, en 89 »
Tu as stoppé ton activité dans le graffiti ?
Grâce à mes changements de noms (Oeno, Mush, Cen, Kent...), j’ai pu continuer le graffiti après la prison. Ce qui m’a fait arrêter, c’est quand les métros ne roulaient plus. J’ai eu la chance de voir certaines de mes pièces sur des trains en activité. Parfois, je sortais du cinéma sur les Champs et je voyais des trains que j’avais défoncé il y a un mois !
Je me suis déporté sur les lignes SNCF, mais ça me saoulait car j’habitait pas en province. J’ai pas compris la transition genre « tiens je fais un dépôt et j’envoie mes photos à un magazine » moi ce que j’aimais c’était vivre avec le graffiti que je faisais, tomber dessus par hasard. Je suis d’une génération ou être hip-hop, c’était pas juste mettre des sapes, il fallait faire des choses, être un activiste.
Tu décides alors de monter ton propre shop de vinyles...
On s’est retrouvé avec mon pote Chaze, on a eu l’opportunité d ‘ouvrir une boutique de disques dans le 18ème, The Lab. On vendait des imports New Yorkais qu’on ramenait dans des gros sacs de l’armée. On a été les premiers à avoir mis 2 platines dans la boutique et c’est comme ça que je me suis mis à mixer, pour passer le temps. On voyait bien qu’on allait dans le mur car les meilleures nouveautés, on les avait en peu d’exemplaires et on les gardait pour nous... On laissait le reste aux clients. J’ai vu Cut Killer et Spank faire des crises de nerf car il voulait des disques en deux exemplaires pour faire du passe-passe.
Entre temps, j’ai copiné avec Chimiste. J’avais du mal avec le rap français, NTM, c’est ma famille mais en dehors des premiers morceaux qu’ils faisaient sur Nova, j’étais pas fan de leurs disques. Un jour, Chimiste me présente Daddy Lord C. et là, j’ai une révélation. C’est la première fois que j’entends un son qui peut correspondre à du rap américain.
Cette rencontre est déterminante, c’est la première pierre à l’édifice Arsenal Records...
On commence à monter Arsenal pour produire Daddy Lord C. et la Cliqua, qui est en fait notre collectif, à la base. C’est une famille de gens du 18ème. Avec Chimiste, on a autoproduit le premier vinyle de Daddy Lord C et on a écoulé les 1500 copies super vite. A la base, j’étais le DJ de Daddy Lord C. puis de la Cliqua. J’estime que je suis un des « top world » en mix mais je suis pas le roi du scratch. A un moment, mes compétences de DJ n’étaient plus au niveau par rapport au groupe et Gallegos m’a remplacé. Du coup, je me suis occupé du marketing, de la promo...
D’ailleurs, à l’époque de Conçu pour Durer, Booba était l’un de nos danseurs. En 96, on a été la première structure de rap français à signer un label deal avec une major, sûrement la dernière d’ailleurs. En plus, Solo (d’Assassins) est venu nous voir pour caler un morceau sur la BO de la Haine (Requiem). Ca nous a bien aidé...
« Je suis d’une génération ou être hip-hop, c’était pas juste mettre des sapes, il fallait faire des choses, être un activiste »
Ce pseudo JR Ewing, ça vient d'ou ?
Dans le graffiti, j’étais connu pour trouver les tags et comme j’aime bien chambrer, je trouvais pas mal de noms. Ce sont mes gars de La Cliqua — qui savaient que j’étais bon en business — qui ont commencé à m’appeler JR Ewing.
A quand remonte ta première tape ?
Je continuais à acheter toutes les news en vinyles, le mardi soir et puis j’en ai eu marre de copier les mixtapes que je faisais pour mes potes. Je m’étais même pas projeter dans un délire d’argent. Mais j’étais spécialisé dans les indépendants new yorkais, j’avais des exclus et j’étais plutôt bien connecté. Spank, qui avait un shop, me gardait les bonnes galettes. Ma première tape est sortie en 97, j’ai du en produire une trentaine, dont 25 officielles. J’essaye de faire des produits assez pointus, en terme de sélection, de mix, d’ambiance, de pochette... Je peux pas mettre des morceaux dont les textes n’ont rien à voir entre eux.
Qu’est qui change entre faire une tape en 97 et la faire aujourd'hui ?
Il se passe des choses incroyables sur New York au niveau du hip-hop. Le rap US est loin d’être mort, simplement il a changé et les gens en France ne sont pas assez connectés pour s’en rendre compte.
Entretien réalisé le 7 janvier 2008.
Auteur : @FrancoisChe
Photos : Mpy Was Here