
Grems : « J'ai fermé pas mal de bouches »
Difficile de passer à côté de Grems. A la fois rappeur, graffiti artiste et illustrateur, le bonhomme excelle dans plusieurs domaines. Il y a deux ans il sort Airmax (Deephop), disque dans lequel on découvre son impressionnant flow sur des productions à la fois électro et jazzy. Sans aucun doute l’un des meilleurs albums de hip-hop français de 2006. L’année suivante, il est l’auteur de la campagne Imagine R qui éclaire pendant quelques semaines les stations du Métro parisien. Grems nous parle de son parcours et du second disque de Rouge à Lèvres, Démaquille Toi !, dans les bacs depuis le mois d’avril.
Street Tease : Ça doit être un sacré kiffe de voir son travail en 4x3 dans les couloirs du métro quand on a passé son adolescence à défoncer des trains ?
Grems : Ça fait comme si tu t’appelais Booba et que t’avais des affiches qui annoncent ton nouvel album dans le métro, sauf qu’on te paye pour les faire, qu’on te laisse carte blanche et ce n’est pas toi qui aligne les billets pour réaliser la campagne de pub. J’en ai beaucoup entendu parlé car je suis parisien d’origine et j’ai essayé de garder la tête froide. N’habitant plus Paris, c’était plus facile.. Cela a tellement bien marché qu’après ils ont refait des affiches en interne car tout le monde la voulait. Ils les ont ressortis en petites. Je n’en ai personnellement qu’une de chaque.
L’agence qui a convaincu l’état major de la RATP de te faire confiance a-t-elle fait du bon boulot ?
Ils ont vu mes petits persos, et ont dit c’est cool. Le projet ne dénaturait pas du tout mon travail, ils m’ont donné quasiment carte blanche et l’objectif c’était de faire du Grems. Ça a fait du bien pour le CV, financièrement, et ça m’a aussi rapporté d’autres plans après. Cette campagne m’a aussi permis de fermer les bouches des gens qui font l’amalgame entre So Me, Parra et moi. Il y en a beaucoup qui disent qu’un tel pompe le travail d’un autre. Le problème c’est que ces gens n’ont aucune culture et pourtant ils font les cultivés. Grâce à cette campagne, tout le monde a pu dire : et bien ce style là, c’est du Grems.
« Dans une semaine, si je ne fais pas de peintures, un morceau ou un truc graphique, je ne vais pas bien psychologiquement, je me sens mal. »
Tu cumules plusieurs casquettes : graffiti, illustration, rap. Dans quel domaine tu prends le plus ton pied ?
En général, un artiste doit être complet. Moi je fais de la musique et de l’image. Au départ je faisais uniquement du graff mais tous mes potes rappaient. Dans toute cette génération de rappeurs, je dois être le plus jeune. J’ai appris à rapper tout en devenant designer. J’ai passé le concours des Beaux Arts de Bordeaux, celui des non bacheliers. J’ai réussi. Je suis resté faire mes études. J’ai appris beaucoup de choses et parallèlement je rappais.
En tant que fan de musique je me suis rendu compte qu’il y avait en fait plein de démarches à faire, s’inscrire à la Sacem, tout ça au dernier moment. Parce que c’est bien beau de sortir des mixtapes ghetto, j’en ait fais plein des skeuds. Mes premiers solos, je faisais ça pour le kiff. Aujourd’hui, c’est ma vie. Si dans une semaine je ne fais pas des peintures dans mon terrain vague, un morceau solo et un truc graphique, je ne vais pas bien psychologiquement, je me sens mal. C’est une maladie. J’essaie de me surpasser à chaque fois donc il n’y a pas vraiment de domaine de prédilection. J’ai la chance d’avoir fait évoluer les deux à un certain moment alors aujourd’hui les deux côtés sont aussi forts l’un que l’autre.
La plupart des gens ne connaissent qu’une facette de ton travail…
C’est ça qui est marrant. Je suis un rappeur et je fais aussi parti d’un réseau artistique contemporain. Ça les gens ne le savent pas du tout. Le jour où les gens feront la jonction, ils comprendront !
Tu t’attendais à ce que Airmax fonctionne aussi bien ?
Je le sentais un peu mais je ne pensais pas que cela se passerait comme ça. Comme dans l’art, j’ai eu des problèmes avec la sphère du rap. Aujourd’hui je n’ai plus ce problème, je suis arrivé d’un coup et j’ai fermé la gueule à tout le monde. J’ai inventé quelque chose, Airmax a mis un coup de pied dans la fourmilière. Les gens ont dit : « il est dingue ce gars ! » Mon objectif était de conquérir des gens humains, curieux et cultivés musicalement. Je pense avoir réussi avec Airmax. Je le vois dans mes concerts, il y a des punks, des lascars, des riches, des goths, des rockeurs, des mecs qui kiffent l’électro. Il y a vraiment de tout. Je fais de la musique pour tout le monde et les gens rentrent dans mon monde.
Peux tu nous parler de Rouge à Lèvres ?
C’est un groupe monté par Le 4Romain, son frère Killersounds et moi. Quand le premier album est sorti en 2004, on était trois. Le délire c’est qu’on voulait inventer une musique française reconnaissable dans le monde entier et on a donc créer le Rap House, en se basant sur la French Touch qui est une autre culture. On s’est dit qu’en France on n’avait jamais inventé notre propre rap. On est pratiquement les seuls à faire ça dans le monde, avec Foreign Beggars qui se rapproche de ça. Les gens ont été très surpris en entendant ça et cela les intéresse beaucoup. Ils commencent à comprendre. En 2004, le disque a bougé à gauche et à droite. Il est arrivé sur le bureau de Disiz qui m’a appelé et m’a dit qu’il kiffait. Au début je croyais que c’était une blague. En fait, non. On a appris à se connaître et puis on lui a proposé de faire parti du groupe. Ils nous a dit : « Ouai je suis chaud ». Aujourd’hui le groupe a grandi, il y a aussi Dj Gero, KM3 et John9000.
Comment ça se passe sur scène ?
Le public s’éclate. Personne n’a jamais vraiment fait ça, cela ressemble à un Dj Set sur scène. La première que l’on ait fait au Batofar, il y a eu un pogo ! Cela fait vraiment plaisir, ça nous tient à cœur de faire plaisir aux gens.
Et du côté de vos inspirations ?
Ce n’est certainement pas la nouvelle French Touch, on n’aime pas du tout ce truc à la mode, tout formaté. On est plus celle d’il y a 7/8 ans. Nos influences sont Detroit et la Techno. Côté hip hop, Black Milk, Jay Dee et Slum Village. Côté electro, la Techno Expérimentale de Detroit. Attention on est fiers d’être français et on utilise ce métissage de la France dans notre musique. On veut pas être fashion et faire comme tout le monde, on ne veut pas non plus faire comme les américains qui se la pètent. On assume nos origines et on s’en sert. Notre but est vraiment simple : faire plaisir et se faire plaisir.
Entretien publié le 27 mai 2008
Auteur : @FrancoisChe
Photos : Mamzelle et Maviou