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dDamage : entretien décapant avec les « moutons noirs » de l'électro française

Véritable ovni de la scène électronique française, dDamage poursuit lentement, mais sûrement, son ascension. Après quatre albums (Reverbreak This Beat Down, Harsh Reality Of Daily Life, Radio Ape et Shimmy Shimmy Blade), une pléiade de maxis (Trop Singe, Pressure, Ink 108...) et un certain nombre de remixes (La Caution, Les Gourmets, Ra...), le dernier projet musical du duo s’intitule 100 % Hate, un nouvel EP paru sur le label Tigerbass au mois de décembre.
Rencontre avec les frangins Hanak du côté de Maisons-Alfort pour un entretien sans langue de bois.

Ça a commencé comment la musique pour vous ?
Fred : De manière un peu anarchique. Au milieu des années 90, JB commençait à avoir plusieurs groupes de rock en tant que chanteur, guitariste et bassiste. Puis on a acheté un ordinateur Atari.

JB : J’étais saoulé de jouer en groupe, je voulais tout faire chez moi dans ma chambre alors je me suis acheté un 4 pistes. Mais je n’avais pas assez d’argent pour acheter un sampleur, je me suis donc acheté un Atari. Ensuite j’ai commencé à faire quelque chose qui ressemble à de la musique électronique. Comme on était dans la même chambre, Fred, en grand connaisseur de sons, a pu apporter tout son côté sampling. C’est comme ça qu’on a vraiment commencé. On a produit notre premier album en 1997, Reverbreak This Down réédité trois ans plus tard. L’année 1997 est la première marque non officielle de dDamage. Après, on a cherché un label et c’est en 2000 qu’on a véritablement commencé à sortir des disques.

Fred : On a enquillé les concerts comme des putes, on a fait la première partie d’Alec Empire, avec des groupes de rock industriel. A l’époque sur scène, JB avait sa guitare et un synthé, moi un synthé et un sampleur, et en plus notre Atari. Au fil des temps, comme on était programmé pour jouer avec des gens purement électro, on arrivait avec juste un sampleur, un synthé et notre Atari. On a fait plein de configurations différentes en gardant un côté super agressif. Entre 2001 et 2003, on a donc vachement tourné, on a fait pas mal de remixes et également le maxi Trop Singe, avec TTC. Après, on a cherché un label.

Pourquoi avoir signé chez Planet Mu ?
Fred : Beaucoup de labels de la scène parisienne nous ont approché pour sortir Radio Ape. Mais Planet Mu nous a proposé un très bon deal.

JB : Moi ça faisait des années que je rêvais de signer sur ce label qui était au zénith de sa carrière.

Fred : Un mec qui s’appelle Hypo a envoyé des démos aux labels anglais sans nous avertir, Planet Mu nous a contacté et on a mis le grappin dessus. Quand on a eu ça, on s’est dit on s’en battait les couilles de la France, on signe là-bas.

« Il a fallu signer sur un label prestigieux pour que des journalistes français s’intéressent à nous. »

JB : C’était plus qu’un déclic, ça faisait des années que la scène parisienne plaçait nos morceaux sur leurs compilations. Il y avait ce côté un peu hype. On a fait un remix par ci, on s’est dragué, signer sur Planet Mu nous a permis d’affirmer : on ne fait pas parti de ça, on vous aime bien, c’est rigolo, mais on signe en Angleterre. On a été les premiers français à signer chez eux. Il a fallu signer sur un label ultra prestigieux pour que des journalistes français s’intéressent à nous.

Fred : Les Inrocks, par exemple, nous ont fait une bonne chronique alors que les albums d’avant, ils refusaient d’écrire dessus. Une fois qu’on a signé, on a fait une tournée au Japon complètement débile de 22 jours, on n’a jamais fait une tournée aussi bonne car ce n’était pas dDamage qui était connu mais Planet Mu. Au bout du 6ème concert, on avait vendu tout le merchandising. Ensuite on a joué au Canada, sur la côte Ouest des Etats-Unis, à New York.

-Et après ?
Fred : On a sorti plusieurs maxis, on a eu beaucoup de demandes de remixes, de prods et autres collaborations.

JB : En fait on est des collabos.

Fred : Entre temps on préparait notre prochain album. On a toujours voulu faire un album avec des rappeurs et ça nous a pris deux ans, de 2004 à 2006. C’est en faisant ces tournées que l’on a rencontré des mecs comme Mike Ladd, Dose One de cLOUDDEAD, on leur a fait écouter nos sons mais pas seulement, ils nous ont surtout vu sur scène. Cet album, Shimmy Shimmy Blade, est vraiment un échange avec les gens qui nous ont vu sur scène, ont aimé nos chansons et ont donc été intéressés pour bosser avec nous. Une fois l’album terminé, Planet Mu nous a dit adorer la version instrumentale, mais comme le label n’est pas très hip-hop à la base, on s’est dit qu’on allait pas attendre indéfiniment pour le sortir. On a fait les démarches avec Tsunami Addiction, on est tombé chez Discograph qui se sont bien occupés de nous. On est donc retourné sur un label français mais c’était le notre. Entre temps on a aussi signé sur Tiger Beat 6.

JB : Le label de Kid 606 donc, on avait fait un remix pour l’un de ces artistes. On raconte pas dans l’ordre mais entre 2005 et 2007, c’était vraiment une période importante, il se passait plein de choses tout le temps, on a beaucoup été sollicités, on a été amené à faire des choix, à aller vers les personnes qui s’occuperaient le mieux de nous, aussi bien Discograph et Tiger Beat 6. On a également refusé plein de demandes. Tout ça pour dire qu’aujourd’hui on sort notre deuxième maxi chez Tiger Beat 6 et qu’on ne le regrette vraiment pas. On a aussi eu des demandes pour sortir des trucs sur des labels français, on a décliné, on se prend tellement la tête sur nos albums, on veut pas que ça ressemble à un hamburger, ce n’est pas de la musique hamburger, on ne veut pas que les gens se disent qu’un maxi se fait en trois jours.

Justement, vous pensez quoi de la scène électro actuelle ?
JB : Ce qui cartonne aujourd’hui, la compression, tout ça, on ne fait pas parti de ça. Il y a certaines choses que j’aime, d’autres que je n’aime pas, de toute façon ce n’est pas très intéressant de parler de mes goûts. Cette scène compression, la pompe aspirante, et la musique électronique française actuelle, au sens large, m’ennuie. Personnellement j’ai toujours considéré la musique électronique française comme une belle femme, j’ai envie de lui faire l’amour. Utiliser la compression trop souvent, c’est un peu comme un gros godemiché automatique qui sodomise. Moi je fais faire l’amour avec mon sexe, je veux faire jouir, et même si ça prend du temps, c’est pas grave.

Fred : Mais il y a plein de nanas en France qui utilisent les godemichés et prennent leur pied, tant mieux pour elles, il y a plein de gens qui écoutent des trucs compressés dans leurs Ipod.

JB : Ca fait quand même 5 ans que les gens se font sodomiser de la même manière par des gens qui n’utilisent même pas leur sexe. L’abus extrême de la compression, pour moi c’est ça. Franchement, cette belle femme qu’est la musique électronique française, et qui se fait défoncer le cul depuis 5-6 ans, il va falloir la recoudre avec attention et délicatesse, et c’est des gens comme mon frère et moi qui allons s’en occuper.

Fred : Mais on n’est pas du tout anti-français, il y a, par exemple, le label marseillais Bip Hop qui existe depuis 10 ans avec un mec qui nous suit depuis longtemps, il nous a demandé un projet pour 2009. Il y a aussi Ascetic Music, label de rap qui n’a sorti quasiment que des albums de rappeurs américains, qui nous a commandé un long format et on va le faire. Il a écouté Shimmy, il veut un album un peu plus hip-hop, avec des prods assez sombres, plus épurées que ce que l’on a déjà fait. Le mec d'Ascetic Music a un catalogue de fou, on va en profiter, notamment avec Pacewon des Outsidaz. C’est une véritable opportunité pour nous.

« En fait, on est des collabos. »

JB : C’est la démarche des gens qui nous intéresse. On est aussi connecté à Gourmets Recordingz, par exemple (Nil, Les Gourmets). On ne déteste absolument pas la scène française, mais on ne l’attend pas, on ne l’a jamais attendu et c’est comme ça que cela a le mieux fonctionné pour nous.

Fred : Mais on a quand même de bons rapports, chez Ed Banger par exemple, on connaît Krazy Baldhead. JB a fait pas mal de soirées avec eux et on en refera. La preuve, prochainement on doit jouer avec Vicarious Bliss. Il y a des gens qui viennent voir des concerts de dDamage et qui écoutent Justice, Sebastian. Il y a un mec par exemple qui est venu me faire signer un exemplaire de Ink 808, dans sa pochette il y avait du Sebastian, du Dj Mehdi. Peut être parce qu’il y a un remix de Krazy Baldhead dessus, ça a attiré. On se base vraiment sur la musique, simplement. On adore ce que fait Krazy Baldhead par exemple, et pourtant c’est un produit Ed Banger. On ne crache vraiment pas sur cette scène.

JB : On dit du bien de tous ces gens là depuis tout à l’heure, mais avant les Ed Banger et Institubes, il y avait déjà une hype parisienne et on était déjà là. Avant aussi on était déjà là… On en dit du bien mais on ne va pas les lécher, on fait notre vie. Hier j’étais dans une soirée branchouille avec des mecs qui portent des lunettes en plastique blanc. Il y a un mec qui m’a dit : « j’ai adoré ton album de hardteck en 2001 ». J’ai eu envie de lui décoller une droite. On respecte, mais c’est dans un sens aussi bon pour nous de ne pas en faire partie, ce n’est pas notre monde, encore moins celui de mon frère. On a aussi du mal à s’identifier à ça. On ne crache pas dessus, parfois on crache un peu, mais ce n’est pas notre monde tout simplement.

Fred : Comme cela a été dit dans une chronique aux Etats-Unis, on est le "black sheep" (mouton noir, ndlr) de cette scène. Tant mieux. On est en lente progression, comme l’action EDF-GDF, malgré la crise.

Vous écoutez quoi en ce moment ?
JB : Principles of Geometry, ils ont un son un peu actuel mais rajoutent des trucs incroyables à la Vangelis, avec une grosse guitare crade de grunge. C’est vraiment le dernier truc qui m’a transpercé.

Fred : J’écoute de la musique tout le temps, j’écoute beaucoup de rap, français et américain, du grime… Dernièrement j’aime bien Cassidy ou le sudiste Gucci Mane. Je trouve que les prods des sudistes sont vraiment intéressantes, ils font beaucoup de merdes mais quand ils font un bon morceau, ça t’accroche vraiment la gueule. L’album de Crime Mob (2004) par exemple accroche vraiment. Mr Sche aussi, le taulard Prodigy de Mobb Deep. J’écoute pas mal de hyphy, Too Short, Keak Da Sneak, E-40, j’aime bien la constance de The Game aussi. Je suis tout de même plus éparpillé qu’avant. J’aime les mecs qui galèrent pendant longtemps et qui explosent par la suite. Avec le temps, les mecs arrivent à toucher un public et ce public se repenche sur leur carrière et s’aperçoit qu’il y a 10 albums avant. J’aime les mecs qui construisent, j’aime suivre les carrières et revenir dessus. Je m’intéresse vraiment à plein de choses. Je réécoute aussi beaucoup les samples utilisés dans les albums. Le rap est vraiment la musique que j’écoute depuis le plus longtemps.

Entretien publié le 3 février 2009

Auteur : Alino et François Chevalier
Photos : Mamzelle et Maviou